Je suis née à Madagascar en 1935.
Ma mère venait de La Réunion, mon père de l’Ile Maurice.
Mon père était comptable.
Ma mère était française de la Réunion. Ils se sont mariés à Tanatave.
Ils ont eu 10 enfants, j’étais la 6ème avec ma sœur jumelle Élise
Madagascar est devenue indépendante en 1958. Il y a des gens qui regrettent.
Une amie qui était sage-femme y est retournée. Elle a pleuré en voyant les conditions d’accouchement.
Je ne suis jamais retournée là-bas. Je n’y ai plus de famille et je n’ai pas d’argent pour le voyage.
J’ai arrêté l’école à 10 ans à la mort de ma mère d’un anévrisme, On nous a retirées de l’école, ma sœur jumelle et moi pour faire le ménage, à manger. Les autres voulaient continuer leurs études.
C’était dur pour des gamines.
A 18 ans, mon père est mort d’une crise cardiaque. Il a été malade pendant 5 ans,
Les aînés étaient tous en France. Les garçons plus jeunes ont pu partir aussi en France,
J’ai travaillé dans la restauration. Je faisais pas mal de sport : du basket, de la natation.
Je ne me suis jamais mariée. Le père de ma fille m’a laissée tomber quand je me suis trouvée enceinte. Je n’ai pas voulu avorter car j’étais croyante. Je n’ai jamais regretté.
J’allais travailler. Je gagnais 5000 francs CFA, c’était une bonne paye. On multiplie par 5 pour les francs français.
Au début, je vivais chez une de mes sœurs Lucette (qui était témoin de Jéhovah) à Tananarive. Elle avait 5 enfants. Mais ses enfants étaient méchants avec ma fille, alors, j’ai pris mon indépendance et une nounou.
Je prenais à 8h, l’école commençait à 8h. La nounou l’emmenait.
Je rentrais pour déjeuner avec ma gamine, la nounou la remmenait à l’école et je repartais au boulot. J’étais vendeuse. Les gens étaient sympas avec moi.
Je suis partie en France car ma sœur jumelle s’est installée à la Réunion. J’avais peur que ma fille se retrouve toute seule s’il m’arrivait quelque chose.
Je n’aimais pas la mentalité créole de la Réunion. Je n’avais pas envie d’y aller.
J’ai envoyé ma fille en vacances chez Élise à la Réunion pour qu’elle la connaisse. Elle avait 6 ans.
L’année d’après, Élise est morte d’un accident de mobylette, renversée par une voiture. Ça été dur.
Ma sœur Marie-José (la dernière) était vendeuse à Madagascar. Quand ses professeurs l’ont vue, ils lui ont dit qu’elle devrait aller en France faire des études et ne pas rester vendeuse. Elle est partie à Paris à 19 ans chez Jacqueline qui était mariée avec un adjudant-chef. Marie-José a passé des concours et a travaillé à la poste. Elle s’est mariée avec un homme du Haut-Doubs, qu’elle a rencontré à Paris. Son mari a eu une mutation pour Besançon. Elle aussi a eu une mutation. Mon beau-frère est super.
J’ai écrit à Marie-José. Je lui ai dit que je préférais que ma fille reste avec elle plutôt qu’avec Lucette si un jour, je devais disparaitre. Elle m’a dit : « pas de problème ». Elle m’a envoyé un certificat d’hébergement et j’ai fait un rapatriement en 1970 car j’avais la nationalité française.
Ma mère était blanche, mon père basané
Dans notre famille, certains enfants étaient blancs comme Jacqueline ou Rolande et d’autres noirs comme moi
Jacqueline était raciste.
Ma soeur aînée, Rolande aussi. Quand on allait se promener sur le boulevard à Tanatave, si on arrivait en face d’elle et de ses amis, elle traversait la rue pour ne pas nous voir et ne pas nous présenter à ses amis.
Elle a 82 ans et habite à Toulouse
Elle m’a téléphoné il y a 2 ans. Elle m’a dit : « Bonjour, je suis ta sœur Rolande. » J’ai répondu ; « Désolée, je n’ai pas de sœur Rolande ! »
Marie-José est allée la voir. Elle m’a dit « Elle est toujours aussi orgueilleuse. Elle se teint encore en blonde ! »
Je suis restée 6 mois chez Marie-José et Bernard. J’ai eu 100 F comme aide quand je suis arrivée. Mes frères ont été plus aidés. L’arrivée en France a été dure. Il a fallu prendre des assurances pour ma fille et moi.
J’ai trouvé tout de suite du travail chez Weil. Je faisais un peu de tout. C’était la galère au point de vue contact avec les gens.
Ils étaient froids, ne me parlaient pas, n’étaient pas curieux.
J’ai fait connaissance d’une Espagnole qui m’a dit que c’était comme ça pour elle.
Mon beau-frère m’avait dit : « Ne fais pas attention, les Bisontins sont froids. »
J’habitais vers la gare Viotte. L’Espagnole venait parfois me voir. Une petite Portugaise aussi.
Je ne sortais pas. Je faisais à manger pour ma fille, je faisais ma petite lessive, je repassais, je n’avais jamais le temps de sortir.
Le samedi, j’allais faire la vente chez Weil.
Le dimanche, j’allais parfois dans le Haut-Doubs, chez mon beau-frère.
J’ai travaillé de 1970 à 1988. J’ai arrêté car j’ai été licenciée économique à 53 ans. J’ai été choquée. Je ne m’attendais pas à ça. Je pensais qu’avec l’ancienneté, je ne serais pas licenciée car il y en avait avant moi. Mon diabète a commencé là.
Après, je me suis occupée d’une personne âgée à Rioz. Je travaillais 15 jours là-bas et j’avais 4 jours de repos. Ma fille était déjà grande, elle était infirmière. J’étais payée 500 F par mois. Je suis restée cinq ans. Le monsieur était gentil mais il n’était pas aimé dans le village car il s’occupait des impôts. Quand il est mort, ça m’a fait mal. C’est moi qui l’ai trouvé. Je pense que le médecin ne l’a pas bien soigné. Je m’étais attachée à lui. Je le gâtais. Je lui faisais des crèmes renversées, des petits gâteaux. Personne ne venait le voir. Il n’avait pas d’enfant.
Puis j’ai trouvé chez une personne âgée à Saint-Ferjeux. Sa femme était là, mais elle ne pouvait pas s’en occuper. J’ai travaillé 4 ans. Puis ils ont trouvé moins cher et m’ont licenciée.
Puis chez une femme handicapée. Je restais la nuit. J’étais payée 150 F la nuit. Pendant deux ans.
Elle était très bavarde, me racontait sa jeunesse.
J’ai arrêté de travailler à 70 ans.
Je connais tout le monde dans l’immeuble, mais c’est chacun chez soi.
Je ne fréquente pas de malgache.
Je me sens bien intégrée. En arrivant, je parlais déjà bien français. Je sais lire mais j’ai du mal à écrire.
Je ne regrette pas d’être venue en France, au contraire.
Je n’ai pas les moyens de retourner à Madagascar. J’aime ce pays, mais qu’est-ce que j’irais faire là-bas toute seule, ma fille se ferait du souci.
Propos recueillis par Françoise Gayet. mai 2011, entretien avec Mme Jessy Nunn.
Madagascar
Besançon, France