Madame Boulanoire revient sur sa vie, de sa naissance au Maroc à sa venue en France pour rejoindre son mari qui était militaire.
Je suis née en 1943 (la date n’est pas sure) à Titouane, une grande ville à côté de Tanger.
Mon papa était militaire chez les espagnols, ma maman restait à la maison.
J’avais 2 sœurs et un frère qui est mort de la rougeole quand il était petit. Moi aussi, j’ai eu la rougeole, mais je ne suis pas morte.
Mon père est mort quand j »étais petite, mais je ne sais pas à quel âge.
Ma mère est morte quand j’avais 8 ans, en 3 jours.
Mon oncle et ma tante nous ont recueillis. Ils habitaient dans le même quartier. Ils avaient des enfants, 2 garçons et une fille, plus âgés que nous.
Mon oncle était commerçant, ma tante restait à la maison, comme les femmes d’avant.
Elle est encore vivante, elle a presque 100 ans, c’est comme ma mère.
Pour moi, l’école, c’était dehors !
La maîtresse m’a dit : « Toi, c’est pas la peine que tu viennes, tu ne comprends rien. »
Je jouais dehors. Parfois, j’allais chez une dame qui m’apprenait à faire de la dentelle, du crochet.
Personne ne me forçait.
Je me suis mariée à 16 ans avec Boulanoire (en 1959).
Je suis restée un an chez ses parents qui étaient gentils avec moi. Je n’ai pas vu Boulanoire pendant un an. Il était militaire en France. Puis, on a fait les papiers, j’ai pris l’avion et je suis arrivée à Besançon.
On habitait à la caserne Ruty. Au début, c’était petit : une cuisine et une chambre. La salle de bains et les WC étaient dans le couloir. Il n’y avait que du chauffage au bois et au charbon.
Au début, il n’y avait pas beaucoup de femmes arabes. Seulement huit femmes des tirailleurs marocains.
Puis on a déménagé rue des Docks. Dans une autre caserne. On avait déjà 3 enfants.
Puis on a quitté la caserne et on est allés rue des Roses dans un F3.
J’ai visité tout Besançon.
Puis aux 408 dans un F4. Puis rue de Malines dans un F3, puis rue Renoir, puis on a construit une maison à Franois. On y est restés 13 ans. Quand les enfants sont partis, j’ai voulu retourner en ville.
On est allés rue de Franche-Comté, puis Ile de France. J’étais bien, mais les gens ont commencé à jeter les ordures par la fenêtre, alors on est partis rue de Picardie. On est bien, mais ils veulent vendre les appartements et on n’a pas beaucoup de sous pour acheter. Il va peut-être falloir repartir.
Je n’ai jamais travaillé hors de ma maison.
J’ai une médaille familiale que le maire de Besançon m’a donnée, car j’ai élevé 6 gosses
Je m’occupe de Mohamed, mon fils de 45 ans qui est très handicapé à la suite d’une méningite qu’il a eue à l’âge de 3 ans. Il ne me quitte pas.
( Monsieur Boulanoire explique les problèmes de Mohamed.
Il est resté 3 ans à Villeneuve d’Amont. Les religieuses l’enfermaient. On a reçu une lettre pour dire qu’il était en mauvais état. On a voulu l’emmener mais les sœurs ne voulaient pas nous dire où il était.
Finalement, on a pu aller à la salle de soins. Il était très maigre, mourant. On a dit qu’on voulait l’emmener. On nous a dit qu’on avait pas le droit. Finalement, on a signé un papier et on l’a sorti.
Le docteur Bonnet et venu le voir. Il l’a envoyé tout de suite à l’hôpital. Le docteur Raffi a crié en demandant d’où il venait. On a dit :« de Villeneuve d’Amont ». Il nous a dit qu’il fallait attendre 24 heures pour savoir s’il allait mourir ou non. C’était en 1973. Le docteur a dit : « Mohamed, il a pas de sang, il a pas de l’eau, il a rien. S’il était resté là-bas encore 2 jours, il serait mort. »
Puis il est allé à Rougemont 2 ans, il était bien. Mais il n’avait pas la nationalité française et à 20 ans, il n’était plus pris en charge. Il a du partir de Rougemont en 1985.
J’ai fait la demande de nationalité pour Mohamed. Il y a eu 3 refus. Je suis allé voir un avocat.
Il m’a demandé si j’avais la nationalité française. J’ai dit « non ». Il a dit « il faut faire la demande pour vous ».J’ai mis 2 ans pour avoir la nationalité. C’est long, alors que j’ai fait la guerre d’Indochine et que je me suis battu pour la France.)
Je n’ai plus que ma tante et mes sœurs (une est très malade) au Maroc.
J’y retourne tous les ans en vacances, mais je ne veux pas habiter là-bas. Je veux rester en France, près de mes enfants. Besançon, c’est ma ville . J’y suis depuis 47 ans.
Je ne vais pas à la mosquée car je ne peux emmener Mohamed, mais je fais les prières chez moi.
Je connais bien Besançon, c’est une belle ville, il n’y a pas d’inondations.
Cette nuit, à 2h30, ils ont brûlé 3 voitures. Je n’ai pas dormi, j’avais peur.
Chez nous, personne n’a jamais eu de problème avec la police.
Je descends des fois en ville en bus. Je demande au chauffeur pour l’arrêt.
Quand on est arrivés à Besançon, à Planoise, il n’y avait que des champs et une ferme. On a vu tout construire : Planoise, Palente, les 408.
Quand Boulanoire a apporté la télé dans les années 60, j’ai eu peur. J’ai dit : « qu’est-ce que c’est que ça ? »
Je suis contente d’être en France, avec Mohamed qui est handicapé et un autre fils qui est malade.
Au Maroc, ce serait trop dur.
Témoignage de madame Amina Boulanoire.
Tétouan, Maroc
Besançon, France