Nous voulions faire pression sur le gouvernement de Damas pour arrêter les violences

Je suis parti de Syrie il y a deux ans, en juin 2012, pour participer à la conférence pour la paix de l’opposition syrienne au Caire, et avant j’étais à une réunion en tant que membre du comité préparatoire pour cette conférence à Istanbul pendant 10 jours.


Cette conférence était soutenue par les ministères des affaires étrangères en Egypte de plusieurs pays aussi bien la France, les Etats-Unis, que des pays arabes comme le Qatar et l’Arabie Saoudite. Nous voulions faire pression sur le  gouvernement pour arrêter les violences dans le pays et parvenir à la fin du régime de Bachar El-Assad à Damas. Pour cela nous avons réalisé deux documents, un pour fixer le cadre d’une future constitution (civile, laïque et pluraliste), l’autre pour prévoir la période de transition.

La France a toujours marqué son soutien à l’opposition au régime du président et c’est dans ce cadre là qu’elle a invité tous les membres du comité préparatoire pour participer à la conférence  des amis de la Syrie à Paris. Personnellement, malgré le visa, je n’ai pas pu y être parce que je n’avais pas les moyens ; l’invitation ne comprenait pas l’hébergement sur place.
A ce moment là je me trouvais encore en Egypte où je suis resté 3 mois. J’ai beaucoup réfléchi : « si je retourne dans mon pays je risque ma vie. Le gouvernement sait tous les détails de la conférence et les personnes qui y ont participé ; ou rester au Caire ? » mais ce n’était pas la bonne solution surtout après la révolution égyptienne. Et comme j avais un visa pour la France, j’ai décidé de venir ici et de demander l’asile. Mais en même temps j’avais laissé ma femme et mes deux enfants de 12 et 8 ans en Syrie. Le régime de Bachar El-Assad commençait à menacer leur sécurité, c’est pourquoi j ai refait une demande d’asile auprès de l’OFPRA pour les faire venir. Le ministère des affaires étrangères du Liban où ils se sont d’abord réfugiés, a accordé la demande et ils sont arrivés en juillet 2013.
Pour sortir du territoire syrien je n’ai pas eu de problèmes. Avant j’étais opposant, d’ailleurs je le suis toujours ! sauf que à l’époque de Hafez El-Assad, le père de Bachar j’ai fait 18 ans de prison, en tant que communiste. Le jugement m’avait condamné à 15 ans, mais on ne m’a pas laissé sortir et c’est grâce à des soutiens comme Amnesty international que j’ai pu être libéré 3 ans plus tard.
Quand je suis sorti j’ai diminué mes activités politiques ; je militais discrètement, c’est pourquoi j’ai quitté la Syrie sans aucun problème.                    
Ce n’est pas parce que je suis parti de mon pays que je l’ai abandonné, au contraire je fais partie d’un groupe politique « courant de citoyenneté » ; dans ce groupe il y a des syriens exilés dans toute l’Europe, la Turquie et de toutes les confessions sunnites, chiites, alaouites, chrétiens…… on continue à se battre contre le régime et pour la démocratie.
J’ai encore des amis et des frères et sœurs en Syrie, c’est très difficile d’y vivre. L’économie a terriblement souffert, l’investissement et la consommation ont fortement baissé, une crise qui a touché tous les secteurs. Tout est cher, sans oublier le fait de vivre dans la peur, confrontés à la mort à tout moment.  
Je suis très pessimiste face à la situation du pays, parce que, au départ des émeutes, le régime de Bachar était très isolé (il appartient à la minorité alaouite). Alors il est allé chercher le soutien de pays arabes voisins, et à l’intérieur il a laissé sciemment les  petits groupes politico-religieux  s’entretuer : diviser pour mieux régner, c’est sa stratégie, et ça marche malheureusement.
Si la communauté internationale avait pu nous aider au début, la situation serait différente maintenant. La France était d’accord pour soutenir notre mouvement, mais pas seule, c’est trop dangereux dans la région sans les Nations Unies. Mais finalement, par peur d’armer des extrémistes, ils, notamment les Etats-Unis, ont pris le risque de laisser s’enliser la situation.

Avant en Syrie on vivait en bonne harmonie : les sunnites, alaouites, chiites, chrétiens…. Maintenant il y a de plus en plus de petits groupes qui luttent entre eux, soutenus par des puissances étrangères, qui ont intérêt à ce que cette guerre continue.
Notre courant voudrait montrer au monde que les syriens ne veulent pas d’un régime islamique ou alaouite ou sunnite…non,  on veut un pays démocratique.
A l’intérieur aussi le peuple syrien poursuit son combat contre le régime, il y a des milliers de personnes qui n’ont vraiment plus rien à perdre puisqu’ils ont déjà perdu leur famille, leur travail, leurs biens, leur espoir dans le futur.

En prison j’avais appris le français

Le choix de la France ce n’était pas un hasard, et pas juste parce que j’avais un visa.
J’ai toujours admiré les valeurs de la révolution française, pendant mes années de prison j’ai appris à lire et à écrire la langue française, et à étudier l’histoire de la France.

Quand je suis arrivé en France je suis resté 11 mois à Paris et là bas j’avais beaucoup d’amis syriens, mais quand ma femme et mes enfants sont arrivés, l’OFPRA nous a envoyés à Besançon au CPH (centre provisoire d’hébergement) et là on est restés 10 mois. Ils nous aidaient pour toutes nos démarches (Assurance maladie, Caf, Pole emploi, logement…).

J’ai un diplôme d’ingénieur en électricité.

A Damas j’avais ma propre entreprise, j’y ai beaucoup investi  et je ne sais même pas si le bâtiment existe toujours.

Si j’étais resté en Syrie j’aurais droit maintenant à une bonne retraite !
Ici en France, il y a 2 problèmes pour trouver du travail : même si mon diplôme est validé il ne sera jamais équivalent à celui d’un ingénieur français ; et puis il y a mon âge aussi, j’ai soixante et un ans ! Quelle entreprise va m’embaucher à cet âge ? c’est difficile. 
J’essaie de me reconvertir dans la traduction français- arabe. J’aimerais vraiment travailler et gagner plus que le RSA, surtout que maintenant on a notre petite maison à Roche les Beaupré et tout est plus cher pour les enfants que quand on était à Planoise (cantine, loisirs)
Ma femme parle bien anglais mais pas le français.
On s’adapte plutôt bien ici, sauf que la convivialité, la chaleur humaine, la famille, les traditions…nous manquent beaucoup.
Je pense souvent que si la situation s’améliorait en Syrie, je n’y reviendrais que quand j’aurai obtenu la nationalité française. Avec la double nationalité je me sentirais en sécurité et heureux de retourner là bas, et en même temps pour les études des enfants, je préfère qu’ils continuent ici, parce qu’ils ont déjà perdu un an dans leur cursus pour devoir apprendre le français.

Témoignage de monsieur DIMACHKI recueilli en juillet 2014 par Amal DAHMANI et Geneviève FOEX

Damas, Syrie

Besançon, France

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