Pour mon village

0n est arrivé là-bas le soir. On s’est perdus parce qu’on était vraiment dans la brousse. Et dans la brousse, il n’y a pas de route.


À un moment, on est descendu de voiture et on a ramassé des cailloux pour, en quelque sorte, tracer le chemin à suivre par le chauffeur. Arrivés à la maison de mon oncle, on était tout couvert de poussière rouge. La poussière de la brousse. On a dormi ainsi « peints en rouge » et en plus transis de froid. La nuit, il fait très froid. Le lendemain matin, on nous a chauffé de l’eau et on s’est lavé avec les calebasses !

Cette aventure a décidé mon fils à fonder l’association « rêves d’Afrique » pour aider les villageois à avoir de l’eau. Mais cela a mis tellement de temps que ces derniers ont pensé qu’il avait changé d’avis.  Il a mis deux ans pour pouvoir récolter des fonds. Nous avons pu alors repartir au village avec une  pompe de forage.
Imaginez, il faut 17 personnes pour la transporter de la ville jusqu’à la brousse !
Tout le village en effervescence est venu assister au forage.
Déception, le premier forage a échoué. Pas d’eau ! Mais personne n’est parti. Tous étaient là à attendre sous le soleil qui déclinait petit à petit. A 18h, toujours pas d’eau !  Pas d’eau, mais on savait qu’il y en avait. Les sondages l’avaient dit !
Tout le monde était là, attendait, parlait en même temps.
L’eau est tellement chère. Il est quasi impossible d’amener l’eau ne serait-ce que dans la cour des maisons. Le rêve est aussi de pouvoir irriguer les jardins.
Assise près de mon oncle, je l’observais, silencieux, très serein au milieu de l’effervescence ambiante
Il me dit : je ne dis rien, je ne parle pas tellement je suis heureux qu’on cherche l’eau. Rien qu’à l’idée qu’on puisse le faire, c’est déjà quelque chose. »   
Tout à coup, l’eau jaillit. Il fallait voir cette explosion de joie !!
Tous communiaient dans le même bonheur. Un immense bonheur !
On en a mis du temps avant d’avoir cette eau parce qu’on n’avait pas d’argent, mais  avec de la patience et de la volonté tout est possible.

J’ai voulu moi aussi participer au développement de notre village et créer ma propre association. Mon objectif premier était  l’école car notre village est un village oublié. J’avais estimé que sur 70 enfants (enfin ! ceux que j’avais pu voir. Beaucoup sont dans la brousse parce que les Peuls, mon peuple, sont des nomades) aucun ne va à l’école. Déjà, aucun parent n’était allé à l’école, il faut que ça s’arrête. Il faut aider les enfants. Moi-même, j’ai fui mon village à 13 ans pour pouvoir faire des études. Sinon j’aurai été mariée à 15 ans. J’ai fait croire que j’étais orpheline, c’était la seule solution pour être inscrite à l’école. J’ai dit : je suis orpheline. Je n’ai pas de père, je n’ai pas de mère. Je veux juste apprendre à écrire mon nom !!!! Par chance on ne m’a demandé aucun justificatif. C’est ainsi que j’ai pu être inscrite sans problème mais surtout sans rien payer.
Je suis retournée dans mon village 7 ans plus tard à la surprise générale car tout le monde me croyait  morte.
Avoir une école dans mon village était devenu mon credo. Je me suis dit que si nous réussissions à construire 6 classes, l’Etat pourrait nous affecter un instituteur car si nous ne construisons pas nous même un établissement scolaire, l’Etat ne réagira pas et il y aura encore des générations sacrifiées. En effet, pendant la saison de la culture, les hommes cultivent le maïs et le petit mil, les enfants gardent les bêtes. Moi-même de 5 à 13 ans, j’ai gardé les vaches.
Après la saison des cultures on file le coton avec la grand-mère.
Alors, quand aller à l’école ?
Moi je ne veux pas d’une école en pisé qui sera emportée par les premières pluies, je veux un établissement moderne avec un logement pour l’enseignant, sinon aucun instituteur n’acceptera de venir.
Une fois l’école en fonction j’aimerai pouvoir faire des échanges avec d’autres écoliers.

Le projet de développement du village a démarré avec le forage puis l’école, maintenant ce qu’il faut, c’est le dispensaire avec bien sûr un logement pour le médecin car comme pour l’école pas de local construit par les habitants, pas de médecin affecté par l’Etat.
Ce qui m’a incitée à vouloir ce dispensaire c’est l’histoire de ma tante.
Lors de son accouchement, la femme de mon oncle a eu une hémorragie. Il l’a mise sur un vélo, l’a attachée avec un pagne pour l’emmener au dispensaire. Elle est morte en cours de route alors qu’elle aurait pu être sauvée. Ce dispensaire c’est pour toutes ces femmes qui accouchent dans des conditions très difficiles qui virent au drame quand l’accouchement se passe mal. Même si des villages, comme le mien sont tout près de grandes villes, il faut 4 à 5 heures pour les atteindre parce qu’ils sont en pleine brousse et les trajets deviennent excessivement longs alors que les distances sont courtes en réalité. Quand je parle  du Burkina, les  gens croient que tous les villages sont comme Douroula (jumelé avec Besançon). Il y a beaucoup de villages qui sont livrés à leur sort, qui vivent comme à l’âge de pierre. Dans le mien, rien n’a changé depuis mon enfance.
Je me remets souvent en cause  quand je vois comment vivent les gens. Nous, de la diaspora devons apporter notre aide, mais les villageois doivent aussi s’investir localement car le développement du village dépend naturellement beaucoup d’eux. Je le leur écris souvent et le leur répète régulièrement quand je suis sur place. Comme on dit chez nous « on peut vous aider à vous mettre debout mais on ne peut pas vous faire marcher ».
Il faut également être franc avec eux et leur dire comment se passe la vie en France. Beaucoup pensent que les immigrés sont riches et que c’est pour cela qu’ils aident le village.  
Aussi je leur explique régulièrement que si  les donateurs ont beaucoup de cœur ils  n’ont pas toujours beaucoup d’argent.

Le 05 octobre 2009
Rencontre avec le groupe « Miroirs de femmes reflets de quartiers » Rencontre avec Safia. Propos recueillis par Farida Touati

Burkina Faso

Besançon, France

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