Comme quoi la vie

Histoire de vie de Carole et Domenico Vitone, Le Creusot.

Café, gâteau, boisson, tout était déjà prêt pour nous accueillir, et des sourires – comme cela pourrait se passer en Italie. C’était une conversation d’emblée amicale, à bâton rompu, chaleureuse et drôle, où la parole passait vite de l’un à l’autre. Carole et Domenico c’est une belle histoire d’amour et de vie. De vie qui change ses couleurs et ses rythmes, mais qui garde l’humanité comme un cadeau précieux. Il y a par ailleurs une empreinte de l’humour que nous partageons volontiers avec vous.

Par quoi voulez-vous commencer ?
Domenico : Notre famille c’est quatre  générations au Creusot et un peu partout dans le monde : Marseille, Mayotte, Paris. Nous avons 5 enfants. Notre dernier fils est policier à Mayotte, il est marié avec une Malgache et a 3 enfants. L’ainé est commandant de police à Château Thierry, il a 2 enfants et 5 petits enfants. Notre fille vit à Marseille, elle a 3 filles. Nicolas et Joël ont chacun 3 enfants.

Comment êtes-vous arrivé en France ?
Domenico : Je suis venu en France le  29 avril 1957 et 2 jours avant mes 19 ans. Je suis parti parce que je me suis engueulé avec mon père qui était directeur des affaires sociales de l’usine Pignone Sud. Je jouais au foot et il ne voulait pas, il voulait que je continue mes études, je ne voulais pas. Il fallait que je parte.  
J’avais un ami, on jouait au foot lorsqu’il était encore en Italie, il est parti vivre en France, au Creusot. Il m’a appelé du Creusot et il m’a proposé de venir. Je suis venu et quelques jours après j’ai commencé à travailler, à la SFAC qui est devenu Creusot Loire (Note DA : CreusotLoire est une ancienne société sidérurgique française, créée en 1970 à la suite de la fusion de la Société des Forges et Ateliers du Creusot).Entre temps, j’ai connu la femme de ma vie, cela fait 60 ans qu’on partage notre vie.
Quand je suis arrivé on m’a traité de sale macaroni, sale chien, sale race… Quand on me disait ça, je ne laissais pas passer, je me bagarrais. Maintenant je rigole et je dis que je suis macaroni d’exportation.

Alors comment avez-vous rencontré Domenico ?
Carole : Justement à l’Amicale italienne. J’avais un oncle qui soit disant pour soulager mes parents m’a fait venir au Creusot. Je pleurais tout le temps, je ne voulais pas rester en France, mon oncle était spécial.

Domenico : Un jour, en passant par la maison de son oncle pour prendre de ses nouvelles, il y avait sa sœur Louise qui m’a dit « Viens voir Carole, elle est à la maison ». C’est comme ça que ça a commencé, à ses 17 ans. On s’est marié en 1960, moi-même j’étais juste majeur, j’avais 21 ans. Il a fallu avoir le consentement de ses parents qui étaient en Italie à ce moment.

Vous viviez où ?
Domenico : A l’époque c’était très difficile d’avoir un logement. J’ai eu de la chance parce que, comme j’étais un bon footballeur, le directeur de la SFAC Creusot Loire m’a demandé si je voulais jouer dans leur équipe qui était dans la 1e division régionale, j’ai dit oui et j’ai obtenu le logement le lendemain. Comme quoi, la vie…

Et vous avez travaillé où ?
Domenico :En arrivant en France, j’ai commencé en nettoyant les toilettes publiques, et au bout de 3 jours, j’en ai eu assez. En Italie, j’ai quand-même été étudiant au Séminaire (catholique) de 1948 à 1953 où je n’ai vu mes parents qu’une seule fois, pourtant entre Brindisi et Bari il n’y avait que 200 km, mais à l’époque c’était très loin. On apprenait le français chez les curés.

Un jour j’ai vu un appareil à ultrason et je me suis dit que je pourrai faire passer les ultrasons. Après j’ai été pontonnier, amarreur, j’étais dans la magnétoscopie, le ressuage. On avait 5 enfants qu’il fallait nourrir. Je partais au travail le matin, l’après-midi je ne pouvais pas rester dans un bureau, il fallait que je bouge, alors après je travaillais au cimetière et après je nettoyais les treillis dans la blanchisserie, après je jouais au foot. Je dormais 7-8 heures par semaine. J’ai fini comme chef de poste, j’avais des gens sous mes ordres.

Cela fait 28 ans que je suis en retraite et je ne regrette rien. C’est ma vie entre l’association, le foot,  bien que j’aie une jambe avec la prothèse.

Et vous Carole, comment vous supportiez cela ?
Carole : Il fallait s’adapter. Moi aussi je travaillais, je travaillais plus que lui. C’était la course. C’est grâce à tout cela qu’on a pu acheter notre maison.

Qui s’occupait des enfants ?
Carole 
: Ma maman venait ici tous les jours, parce que mes parents sont venus vivre ici après l’accident avec mon oncle. Le 18 mars on s’est marié à la Mairie et le 19 mars à l’église. Le 18 mars on voulait aller au cinéma mais ma mère n’a pas voulu avant qu’on se marie à l’église.

Vous avez fait pareil avec vos enfants ?
Les deux : Non, pas du tout ! La liberté !

Vos 2 fils sont policiers si j’ai bien compris ?
Carole : Oui, les deux et j’ai ma petite fille qui est gardienne de prison, à côté de Marseille, avant elle était policière. Elle est montée en grade, elle est animatrice. Elle est contente.

Vos enfants se sentent français ?
Domenico : Oui, mais quand il y a un match avec l’Italie, ils sont Italiens, ils ont tous les maillots italiens. Deux parlent italien et les autres parlent napolitain comme leurs grands-parents.

Vous avez toujours vécu au Creusot depuis que vous êtes en France. Vous vous y plaisez ?
Carole : Oui, je m’y sens bien, mais j’ai quand-même la nostalgie du pays.

Quand vous arrive la nostalgie ?
Carole : Toujours. Toujours. Surtout quand il y a des chansons napolitaines, je pleure. Je suis née à Ercolano. Vous savez il y a un petit pont, c’est joli. Les ruines d’Ercolano sont encore plus jolies que celles de Pompéi.

Vous pourriez revenir vivre en Italie ?
Carole : Le problème est qu’on est étranger dans notre pays. Quand j’y vais, je regarde  la rue où je suis née. Ce qui est triste c’est qu’on ne connait plus personne, on est chez nous, mais on se sent triste, les pierres je les connais, mais les gens, ce n’est plus les mêmes gens. Mais j’aime beaucoup l’Italie, on y va tous les ans, à côté de Rimini.

Et vos amis ici ?
Carole : Oui j’ai des amis ici, on est bien avec tout le monde.

Et voilà qu’apparaît Don Camillo !
Pendant ce temps, Domenico arrive avec une photo. Il nous montre un article.

Article sur Don Camilo Valota

Domenico : Voilà, c’est le VRAI Don Camillo Valota, le fameux curé. C’est son histoire. Il est mort mais regardez l’article, tout y est ! Don Camillo a beaucoup aidé les Italiens qui venaient vivre en France. (Note DA : le père Camillo Valota, a servi de modèle au romancier italien Giovanni Guareschi pour son personnage de Don Camillo. Ce livre, entre autres, a été adapté à l’écran avec Fernandel dans le rôle de Don Camillo).

Carole : Quand on s’est marié (rire) il est venu manger chez nous, il est reparti à l’église pour préparer notre mariage. Nous, on était en retard de 10 minutes alors il est parti très énervé si bien qu’un autre prêtre nous a  mariés (rires). Mais ensuite il a baptisé tous nos 6 enfants. Don Camillo s’énervait très vite. Et puis il n’aimait pas les communistes.

Domenico, Carole, Don Camillo (en robe noire)et les parrains

Domenico : Ah oui ! Lors de la première Fête de la Vierge, 2dimanche  de septembre qu’on organise tous les ans depuis 25 ans ici chez nous, je lui dis que j’avais invité des gens du Creusot, de Breuil, de St Cernin et de Montchanin. « Ah bin non, pas de Montchanin, c’est des communistes » (rire de Carole). Il était comme ça. Il a fait du bien aux Italiens. Il était le bon Dieu.

Matias (Chebel)Si je me rappelle bien, c’est grâce à Don Camillo que vous avez pu acheter le foyer italien ?
Domenico : Oui, c’est moi qui étais le président de l’Amicale italienne. Tout le monde voulait apporter son grain de sel, il faut faire ceci ou cela et puis Don Camillo me demande « Et toi qu’est-ce que tu en penses ? ». « Je ne pense rien » je lui ai dit. Avec lui on était proches, il m’a appris beaucoup de choses.

Carole : Il est né et a été enterré à Bormio (au nord de l’Italie). On voulait y aller mais cela ne s’est pas fait.

Comment vous sentiez-vous en tant qu’Italiens en arrivant ?
Domenico : Je me souviens, le 2 mai, le 2e jour de notre arrivée à Montceau, on est allé voir « Le triporteur » de Darry Cowl. Il y avait des jeunes Italiens et des gens de Montceau qui ont commencé à insulter les Italiens et les traiter de sales chiens, sale race.  Après, les Italiens sont partis chercher des armes, ils sont allés rencontrer les gens qui les avaient insultés et ils en ont tué un. C’était dur. Cela m’est resté. Je venais d’arriver.

A quoi c’était dû d’après vous, cette animosité ? 
Domenico : Je pense que c’est à cause de la guerre et de l’implication des Italiens avec les Allemands. Ils avaient envahi Paris. Même au travail, cela a duré longtemps jusqu’à 1964-65, après il y a eu une certaine évolution. Mais actuellement ça revient …

Carole : Dans ma chorale par exemple je sens le racisme mais plus discret des Français de souche. Ce n’est pas si brutal qu’avant, mais je le sens.

Au bout de toutes ces années vous vous sentez comment ?
Domenico : Je suis italien, mais, je dois remercier la France qui m’a donné beaucoup, qui m’a donné aussi un travail. C’est ce que je n’aurais peut-être pas pu avoir en Italie, qui sait. Je suis Italien et je suis Français en même temps. Si un jour il y a une guerre entre la France et l’Italie, je serai déserteur ! Nos enfants sont français, mais moi avec ma femme nous sommes restés italiens. J’étais longtemps président de l’Amicale italienne (association du Creusot). On a environ 300 adhérents. Il y a beaucoup d’Italiens au Creusot : je pense qu’il y en a environ 700.

Carole : Je suis présidente de l’ANFE – association italienne des familles d’émigrés italiens, le siège est à Rome, je suis aussi coordinatrice pour la Région Campania.  J’y vais tous les ans.

Et vos petits-enfants  quel rapport ont-ils avec l’Italie, ils y vont ?
Domenico : Ils sont français. Mes enfants, quand il y a un match Italie-France, ils sont pour l’Italie, les petits-enfants non. Ils apprennent l’italien à l’école, mais ce n’est pas le vrai italien, combien de fois j’ai corrigé. Et après ils ont 18-20 (sourire).

Matias : Domenico tu as été très engagé tu organisais les voyages en Italie, même pour les enfants, le sport.
Domenico : J’ai même été engagé syndicalement, je le suis toujours, je suis à la CGT, j’ai même étais délégué. Je faisais mon travail consciencieusement mais je ne me suis jamais laisser marcher sur les pieds ni par mes chefs ni par qui que ce soit. J’étais responsable de contrôle. Chaque fois que j’envoyais une fiche elle était signée par moi.  Je connaissais bien mon métier, la technique et ils le savaient bien. J’ai travaillé pour la fusée Arianne, pour les bateaux, etc.

Quinze jours avant de partir je me suis disputé sévèrement avec mon chef qui m’a dit que je ne faisais plus partie du personnel. J’ai pris mon baluchon, j’ai payé à boire à 15 personnes que j’avais sous mes ordres, à des copains et je suis partie, je n’y ai plus jamais remis les pieds. J’ai même eu la médaille d’or mais je ne l’ai pas prise. Je ne suis pas un Calabrais je suis un Pouillais de Vittondo (Note DA : la région des Pouilles, sud de l’Italie). Là où il y a la meilleure huile d’olive. Voilà c’est mon histoire.

Globalement c’est une belle histoire ?
Domenico : C’est une histoire d’amour. J’ai bossé, jusqu’au bout, toujours, même le dimanche s’il le fallait. Voilà notre histoire !

Recueilli par Matias Chebel et Douchka Anderson le 25 septembre 2019. Retranscrit par Douchka Anderson

Ercolano, Naples, Italie

Creusot, France

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