Je m’appelle Maria Lourdes Hernández. Je suis arrivée en France le jour de mes 19 ans, le 11 février 1965, en tant que touriste.
La migration
Ma famille est de Soria en Castilla-La-Vieja. Je vivais à Madrid où je travaillais dans un atelier de couture. Je ne gagnais pas grand chose mais mon travail me plaisait. En janvier 1965, je me suis rendue au Pays Basque près d’Irun pour le mariage de mon frère. Lui vivait déjà en France. Il m’a proposé de venir avec eux. Le voyage m’a semblé interminable. Nous avons changé de train plusieurs fois : à Lourdes, à Lyon puis à Dijon, avant d’arriver à Besançon. Partis le soir du 9 février, nous sommes arrivés le 11 à 9h30 le matin. Je me souviens du froid et des anciens wagons avant les trains français qui eux étaient un peu plus modernes, des wagons en lattes de bois.
En repensant à mon arrivée ici, ce qui me vient d’abord à l’esprit c’est la barrière de la langue et les différences dans le mode de vie. Et puis comme je suis arrivée en février le climat était rude. Ce fut très difficile. Bien que mes frères et sœurs vivaient déjà ici, j’avais une sensation de solitude. Eux parlaient déjà un peu le français. En Espagne, si j’avais une baisse de moral, je pouvais sortir à n’importe quelle heure et aller manger deux trois tapas avec des amis et j’étais de nouveau épanouie. La famille c’est primordial mais les amis comptent beaucoup aussi.
J’ai commencé à travailler dès ma première semaine en tant que Bisontine alors que je ne comprenais rien. Comme je ne parlais pas français je n’ai pas pu chercher dans le domaine de la couture. Je m’occupais de l’entretien dans un cabinet dentaire. Je me rappelle qu’à l’époque nous devions stériliser les instruments dans des espèces de petits micro-ondes. Ma sœur m’avait accompagnée pour que j’obtienne ce travail et mon beau-frère, qui était chef de chantier à la Rhodia, m’aidait beaucoup avec le français. Par exemple, lorsque j’avais besoin de laisser un message au dentiste, il me l’écrivait sur un bout de papier et je le recopiais.
J’avais d’abord eu un récépissé de 6 mois pour pouvoir rester en France puis j’étais allée à Dijon pour passer une visite médicale pour mon permis de travail, puis mon permis de séjour. Un policier pied noir de la Goudimel m’a beaucoup aidée dans ces démarches, il parlait très bien l’espagnol.
Je suis venue en France car ma sœur avait déjà trois enfants et avait toujours du monde à la maison étant donné le travail de mon beau-frère. Ils hébergeaient des nouveaux travailleurs de la Rhodia jusqu’à ce qu’ils trouvent quelque chose. Lorsqu’elle est tombée enceinte du quatrième, je suis venue pour l’aider voilà tout. Je ne devais pas rester longtemps.
La vie à Besançon
Cette année-là, j’ai rencontré mon mari, Lorenzo Hernández. Alors malgré les larmes et le manque de mon pays je suis restée. Lui était arrivé en 1961, pour des vacances. Nous nous sommes rencontrés lors de fêtes de famille car il était le parrain de ma nièce. Nous nous sommes mariés le 26 juin 1966, puis nous nous sommes installés rue d’Arène pour ensuite arriver rue Mallarmé en 1970, là où je vis toujours. Les logements étaient de vrais taudis. Bien sûr en Espagne ce n’était pas le luxe mais quand même. Nous nous sommes trouvés une sorte de grenier. Heureusement, chez les migrants espagnols tous les corps de métier étaient représentés. Mon mari lui était tourneur mais savait aussi s’occuper de l’électricité. Alors à nous tous nous parvenions à remettre en état les appartements pour qu’ils soient plus agréables. On arrivait à retrouver une ambiance familière, celle de l’Espagne. Nous étions très solidaires.
Pour illustrer ce soutien entre migrants, je pourrais vous raconter l’arrivée de mon mari à Besançon. C’est M. Luis Sanchez qui l’a accueilli. Il vivait avec son épouse et un autre couple espagnol Quai Vauban. Il n’y avait qu’une petite chambre et un coin kitchenette. Ils l’ont hébergé car l’hôtel coutait très cher. Les trois hommes dormaient ensemble et les deux femmes ensemble. Mon mari était très gêné de cette situation. Il trouva une petite pension rue Jean Petit près de la Place du Marché mais M. Felix Sánchez ne voulait pas le laisser vivre seul à l’hôtel alors il lui avança l’achat d’un lit pliant. Chez lui il y avait un peu plus de place. Il lui demanda simplement de ne pas partir avant que le lit ne soit remboursé. Ce n’était pas un frère de sang mais un frère de cœur.
Entre temps j’avais trouvé un poste dans une entreprise Place Flore où l’on faisait des verres de montre. J’y ai travaillé pendant un peu plus de deux ans jusqu’en août 1967. J’y ai un peu appris le français car mon chef d’équipe qui était italien parlait très bien le français et l’espagnol.
Le 23 mars 1967, j’ai eu mon premier enfant, Lorenzo. A cette époque je gagnais 2 frs de l’heure soit environ 280 frs par mois. Mon mari gagnait mieux sa vie car il était qualifié. Il travaillait comme tourneur monteur chez Bourgeois-Trepillot où il a fait toute sa carrière. Une nourrice nous aurait coûté plus des trois quarts de mon salaire alors je me suis arrêtée pour m’occuper de mon bébé. Nous n’avions pas grand chose, juste un petit frigo qu’on avait acheté d’occasion.
En 1969, j’ai eu ma première fille, Maria Yolanda puis Christina en 1972, une surprise mais bienvenue.
Près de chez nous, il y avait un centre PMI rue de l’Épitaphe. Lorenzo adorait la cuisine alors je l’ai inscrit à un atelier. On m’a proposé de prendre des cours de français mais j’avais beaucoup à faire. Je préférais rester auprès de ma plus grande fille qui était malade. J’aimerais dire d’ailleurs que l’équipe médicale de St Jacques à l’époque était magnifique, les professeurs Raffi, Lenoir et Bizouard notamment.
Lorsque sa santé s’est améliorée, elle a repris l’école. Elle avait beaucoup de retard et Mme Tramut, psychologue scolaire à Brossolette qui habitait dans notre bâtiment, passait tous les soirs pour nous aider, pour lui apprendre à lire, à compter…
Puis j’ai repris le travail comme employée de maison chez les patrons de « Mont Jura » pendant 28 ans. Ils sont devenus de très grands amis, des gens de cœur qui nous ont beaucoup aidés dans les moments difficiles de ma famille.
L’associatif
Tout au long de ces années, le milieu associatif a fait partie de nos vies. Mon mari est d’ailleurs l’un des fondateurs de l’Association Bisontine Juventud Española de 1962. Dès le début et jusqu’à la fin de l’association en 1966, il a été l’entraineur de l’équipe de football. Il était également celui de l’équipe de son travail ; une vraie passion. Mais les équipes n’avaient pas les moyens de faire entretenir leurs équipements en laverie alors c’est moi qui m’en occupais, à la main. Un sacré travail.
Et puis l’association est devenue Don Quichotte. Nous faisions beaucoup de sorties : europapark, le ballon d’Alsace… à quatre ou cinq bus pleins le plus souvent. Nous étions très unis. Nous organisions les anniversaires de l’association au Palais des Sports et fêtions les Rois Mages le 6 janvier… Chaque enfant repartait avec un cadeau. Nous participions au frais mais le plus gros était pris en charge par le collectif. Il y avait beaucoup de membres, plus de trois cents.
Depuis 1975, nous avons le Bastion. Des membres l’ont remis en état et bien que ce ne soit pas très grand, c’est une endroit accueillant. Nous y avons même un coin bar et un coin cuisine. C’est mon fils qui est le président actuel de Don Quichotte.
Au sein de Don Quichotte, il y a eu l’association des parents d’élèves. Nous cousions les robes de flamenco au club, les samedis et les dimanches après-midi, pour le groupe folklorique. Et puis il y avait aussi un groupe de femmes. Nous étions une trentaine. Tous les mois on payait une petite contribution, 5frs il me semble. Cela doit faire une vingtaine d’années maintenant. Nous faisions des voyages mais notre but principal était de soutenir des personnes en difficultés. Si une femme était malade on pouvait aller lui faire son ménage, son repassage. Et si c’était un homme, et qu’il y avait une perte de salaire, nous aidions à payer les factures d’EDF, les impôts, les courses… On faisait aussi des visites à l’hôpital. Nous nous retrouvions dans une salle à Battant.
La retraite
Maintenant que j’ai plus de temps, je retourne tous les ans en Espagne. J’y emmène mes petits-enfants parfois. C’est bien qu’ils connaissent la culture et la langue espagnoles. Mon mari leur parlait uniquement en espagnol mais moi moins. Aujourd’hui je leur parle plus dans ma langue maternelle car comme ils viennent en vacances avec moi il faut qu’ils puissent se débrouiller.
Je suis peinée que la dernière génération perde la langue de leurs grand-parents migrants d’Espagne. Moi, je parle français comme une vache espagnole (rire). Je n’ai jamais renié ma nationalité d’ailleurs. Une génération qui a du mal à parler le français et l’autre l’espagnol ça me fait mal au cœur. Être espagnole et que ses petits-enfants ne puissent pas comprendre sa langue de cœur c’est dur. Avant il y avait des cours dispensés à Diderot. Aujourd’hui l’association tente de renouveler cette expérience. J’espère que le projet mené par Marie-Hélène Sanchez (co-secrétaire de Don Quichotte) va aboutir.
Malgré les larmes du début, je ne regrette pas ma vie en France, à Besançon. Nous nous sommes faits de vrais amis ici, des relations qui durent encore.
Propos recueillis par Floriane Loubatieres et Jacqueline Portal.
Soria, Espagne
Besançon, France