Je suis française d’origine italienne

Intarissable sur l’Italie et sur l’histoire de sa famille, si bien que quand elle commence à parler d’elle-même elle reprend l’histoire familiale et on est très vite emporté par son désir de donner une place à sa famille et à ses origines, elle qui est de la troisième génération. Tout mène à l’Italie mais finalement pour mieux retrouver la France.

L’histoire de Valérie commence en Italie…
Depuis toute petite je demandais à ma maman de me raconter  l’histoire de mes grands-parents. Elle en parlait souvent, contrairement à mon père. J’ai vite su que c’était des réfugiés politiques, que mon grand-père était sur la liste rouge de Mussolini,  qu’il s’était sauvé de son pays parce qu’il risquait sa vie et qu’on ne pouvait rien faire contre Mussolini. Donc il est venu en France.  Il ne savait ni lire ni écrire et il ne parlait qu’en frioulan. Dès qu’il est venu en France il a voulu que ses enfants aillent à l’école si bien qu’il a appris à lire et à écrire en français grâce à sa fille ainée, ma tante. Elle me disait que dès qu’elle rentrait de l’école elle prenait son livre et se mettait à lire devant lui.

Entre le Frioul et la Toscane…
La famille de ma mère, vient de Toscane. C’est une histoire d’une part cocasse et d’autre part une immigration forcée. En effet, la famille de mon grand-père Bardi est doublement liée à celle de ma grand-mère Guastini Maria. Maria et une de ses sœurs ont épousé mon grand-père, et un de ses nombreux frères. Les deux couples sont arrivés dans la région de Montbéliard bien avant la seconde guerre mondiale, vers 1925.

En ce qui concerne ma famille directe, c’est une histoire non pas de fuite, mais de pouvoir rester en vie, et par là même, de pouvoir agir contre toutes les politiques de répression de l’homme.

 Je suis l’une des dernières petites-filles Bardi, de cette génération-là.
La famille maternelle est devenue très pauvre, à la suite de diverses escroqueries du clergé italien et même du Vatican. Toutefois, arrivé en France à l’avènement et tout au long de la seconde guerre mondiale, mon grand-père, alors totalement athée, deviendra une figure importante aux yeux de la communauté de son village. De ce fait, ma mère, échappera contre toutes attentes aux corvées d’aller au catéchisme, voire à la messe.  Sans que cela n’affecte sa scolarité. A cette époque tout était lié.

En ce qui concerne la famille de mon père, le parcours est un peu plus calme. Mon grand-père, ainsi que ma grand-mère viennent du Frioul. Dans les années 1930, ils décident d’immigrer, pour des raisons professionnelles. Ma grand-mère va rejoindre l’une de ses sœurs à Saint Etienne, puis progressivement, la famille se rapproche d’Hérimoncourt. Mon grand-père fera toute sa carrière chez Peugeot, et comme pour la famille de ma maman, il sera reconnaissant, toute sa vie, à la France de les avoir accueillis et d’avoir donné une instruction aux enfants.

Puis dans le Nord Franche-Comté…
Je suis née à Montbéliard, j’habite Beaucourt (Territoire de Belfort). J’ai vécu toute ma vie dans le Nord Franche-Comté. J’ai 56 ans. Mais depuis que je suis née, même avant je dirais, l’Italie a été omniprésente.
Mes grands-parents maternels, je les voyais tout le temps. Ma grand-mère s’appelait Maria. Mon grand-père, le pépère Averano, m’impressionnait tellement, il était très grand, Il tuait les cochons, les lapins et des petites volailles. J’étais persuadée que c’était un colosse et en voyant cette photo que j’ai trouvée pour vous, je le vois autrement, normal.

La petite soupe de pâtes pour réconfort
J’avais 5 ans quand il est décédé. Je suis leur dernière petite-fille. Comme je suis né à 8 mois, on me prenait pour fragile, j’étais en couveuse. J’étais toute petite. De ce fait toute la famille de ma maman, tous les Bardi me protégeaient. Mon grand-père surtout se faisait des soucis. Quand j’ai marché pour la première fois il m’a donné une pièce en or ou argent, je ne sais plus. Il s’est battu avec mes parents pour que j’aie des boucles d’oreilles comme cela se faisait en Italie pour les petites filles. Chaque fois que j’allais voir mes grands-parents et c’était souvent il me fallait ma petite soupe de pâtes. Je voyais dans le buffet, le gros bol de mon grand-père, dans lequel il buvait chaque matin son café, avec 7 sucres. Pour moi petite, mon grand-père, réfugié politique ayant fui Mussolini, avait sauvé la France.

La période scolaire et universitaire
J’ai fait des études de Beaux-Arts à l’ISBA (Note DA : Institut Supérieur des Beaux-Arts). J’avais un gros potentiel mais mon style artistique ne convenait pas et  je ne comprenais pas pourquoi. On me disait souvent « t’es trop baroque », je faisais tout ce que je pouvais pour y remédier. Tout le monde me trouvait douée, mais avec les profs c’était curieux. Jusqu’au jour où un cousin italien Claudio, le frère de Roberto (Note DA : Roberto Niccholai, cousin italien proche de Valérie, directeur des Archives de Pistoia, et qui a écrit un livre sur sa famille italienne en Franche-Comté), étudiant en architecture, me dit : « Mais c’est ça, tu as la sensibilité italienne avec les techniques françaises ».

Je me sentais différente
Depuis toute petite on se moquait de moi parce que je me mettais en action dès que je parlais, ma façon d’exister est de m’exprimer avec mon corps et mes mains. La Franche-Comté c’est plus cadré, la Suisse n’est pas loin non plus. De ce fait je me sentais différente et je l’attribuais à mes origines. Quand je suis allée à Florence pour la première fois, quand j’ai vu la Galerie des Offices, les tableaux de Michel-Ange, il était midi, c’était fermé, j’ai vu par le trou de la serrure La rotonde, avant de le voir en vrai, et je pleurais d’émotion. Quand j’ai vu les tableaux de Botticelli, la Naissance de vénus par exemple,  je me suis dit « mais voilà c’est moi, c’est mes tableaux ». Je suis très fluide, très courbe, en mouvement, je ne peux pas être rigide ou carrée tout de suite, sinon, je ne fais plus rien.

En revanche, mon mari est de Besançon, un vrai Français ! (rires). Il apprécie beaucoup ma famille  car nous sommes « vivants »,  chaleureux et bienveillants.

La montre à gousset de mon grand-père


La rencontre avec les cousins italiens
Les liens étaient rompus entre temps avec les parents de Roberto. Roberto, je l’ai rencontré quand j’avais 4 ans et l’ai revu à mes 18 ans. Je voulais voir les musées de Florence, pour mes études d’art que je commençais. On avait loué une chambre pour une 10-aine de jour. Ma mère a appelé ses cousins, dont Roberto, pour éventuellement les voir. On a tout de suite été accueillis et ils voulaient absolument qu’on reste chez eux. Depuis Roberto et moi on est devenu inséparables avec des allers-retours entre l’Italie et la France. Le papa de Roberto m’appelait Ciuffetta : le petit choux. Roberto était le frère que je n’avais pas. Je lui ai fait découvrir la France. Les Italiens ne se serrent pas la main, alors ça aussi je lui ai appris et c’est ma maman qui a initié les bisous (sourire).

Deux langues pour partage
Au début on échangeait en anglais avec Roberto, après il a très vite appris le français. Il venait chez nous, ma mère lui a appris des bases. Moi, comme je travaillais avec les personnes handicapées,  je lui apprenais la langue des signes, je faisais des gestes. Il a l’accent de Belfort comme moi !!
En revanche quand je vais en Italie, je parle en langue locale. J’avais demandé à l’école d’apprendre l’italien, ce n’était pas possible. Mais au bout de quelques jours en Italie je me débrouille, je m’y fais. Mes grands-parents parlaient italien entre eux mais demandaient à leurs enfants de parler en français pour mieux réussir nos vies.

Je suis française, d’origine italienne
Quand je suis en France, l’Italie me manque et quand je suis en Italie c’est la France qui me manque. Pour ma mère c’est pareil, alors que mon père s’est toujours présenté comme Français. Quand l’Italie me manque je me fais des pâtes à la sauce tomate, un tiramisu, la polenta où que sais-je sinon je ne m’en sors pas. J’adore la cuisine italienne, tout comme Roberto a fini par adorer la cuisine française.
On n’a pas la même France dans la tête, ni la même Italie d’ailleurs. J’adore l’Italie, il adore la France. Il a tellement idéalisé la France – c’est quand-même le pays qui a sauvé sa famille. Et moi je ne vois pas non plus l’Italie telle qu’elle est. A deux on forme une personne presque parfaite (sourire). On s’est aidé l’un l’autre pour avancer culturellement. Quelque part lui comme moi on remercie la France de cette époque-là. Si mes grands-parents n’étaient pas venus en France mes parents n’auraient pas pu aller à l’école et moi je ne serais pas là parce que peut-être ils auraient été décimés par Mussolini et les forces noires.

Le collier de ma grand-mère que j’adore, il n’est même pas en argent, mais peu importe.

Une famille de gauche
Je défendais les valeurs de gauche déjà étant petite. J’aimais bien la famille Japy, c’était quelque chose. A l’époque Japy à Beaucourt et Peugeot a Sochaux  n’utilisaient pas les gens comme une marchandise. Les cousins étaient fiers d’y travailler, de pouvoir grader, ils le montraient à leur parents avec fierté. Ce n’est plus pareil  maintenant. Mon grand-père maternel comme je disais était un vrai communiste et j’avais une représentation idéalisée du communisme. Du côté de mon père ils sont plutôt socialistes.

Une famille libre qui s’est vite adaptée à la France
J’ai  l’image de ma famille italienne d’immigrés et de réfugiés politiques qui s’est tout de suite adaptée à la France, s’est intégrée dans la vie de la commune ; le travail chez Japy, etc. Ma cousine Lorena était très bonne aussi en français et à l’école mais il fallait qu’elle travaille. Mes grands-parents étaient très pauvres mais immensément riches en âme et en culture. Pour moi cela voulait dire que si mes grands-parents avaient vécu dans un pays sans tyrannie et guerre ils seraient allés beaucoup plus loin.

La religion et l’école
Ils se sont épanouis et émancipés par leurs enfants, surtout par ma mère. Ma mère qui elle était 1e ou 2e avec sa meilleure amie qui, elle aussi, était italienne pendant toute sa scolarité. Ma mère était la seule enfant de la région et du village à ne pas aller à l’église et au catéchisme parce que mon grand-père était une figure très respectée de la Résistance. Ma mère alors était respectée et ne s’est jamais fait battre par cette institutrice qui pistait ses élèves même pendant la récréation.
Par contre quand elle s’est mariée avec mon père qui était aussi d’origine italienne, le curé d’Hérimoncourt voulait absolument qu’ils fassent une communion. Mon grand-père était affligé. Mes grands-parents avaient un contrat entre eux : les enfants allaient être baptisés mais ils n’iront pas à l’église. Sauf que les curés de l’époque n’étaient pas consentants. Donc il a fallu que ma mère fasse sa communion en 4e vitesse pour épouser mon père.

Décidément artiste
J’ai fait après des études d’art-thérapie avec Kim James. Cela fait 28 ans que je travaille dans le  même type de structure avec écoles, lycées, hôpitaux, maisons de retraités, ateliers personnels, Adapei. Maintenant je voudrais me mettre à mon compte, travailler avec le même public mais pas à plein temps, je voudrais reprendre la création pour moi. J’aime beaucoup mon travail. Je ne sais pas si ce choix est aussi lié à certaines personnes de ma famille qui étaient fragiles psychiquement et dont  j’étais très proche et quand j’ai choisi les Beaux-Arts je voulais le faire aussi pour aider les personnes en difficulté à se soigner par l’art. Ce que mes parents n’ont pas pu réaliser ou vivre je le fais pour eux.

Et humaniste de surcroit
Mes origines italiennes,  cela m’a aidée quand j’étais prof au collège et au lycée et maintenant en travaillant avec les immigrés. Je me sens apatride comme eux, je les comprends. Le fait d’être d’origine étrangère dans la famille je pense que cela m’a aidé à les comprendre et les accueillir, mais peut-être que je suis d’emblée comme ça.

Mon côté chaleureux m’avantage dans mon travail au quotidien plus particulièrement auprès des personnes en grandes difficultés psychiatriques, parler en Italien permet parfois d’adoucir les mœurs. Je n’ai jamais trouvé ma place dans un milieu « lambda » il me fallait absolument ce côté humain et bienveillant.

Ce qui reste
Ma grand-mère maternelle étant couturière et issue d’une famille de tailleur, elle avait gardée l’œuf (voir photo ci-dessus) où l’on passait le fil, pour pouvoir le tendre et en faire des bobines. C’est un objet qui a une valeur inestimable pour moi. Cela me rappelle ma grand-mère au quotidien. Il vaut plus que tous les bijoux précieux pour moi. Plus tard je le léguerai à ma filleule.
L’Italie pour moi c’est aussi notre culture de s’aider les uns des autres et de nous soutenir coûte que coûte.
Je me souviens lorsque nous étions à l’hôpital pour mon oncle, les infirmières nous avaient dit qu’elles n’avaient jamais vu une famille aussi unie et soudée que nous.
Je m’aperçois aujourd’hui que j’ai du mal à vivre avec l’Italie en moi qui prend beaucoup de place.
Avec cette période où on était enfermées (Note DA  : Le confinement lié au Covid 19) j’ai eu plus de temps pour penser à notre entretien, c’était même très présent. Quand j’ai raconté à mes parents comment s’était passé notre premier entretien mon père m’a tout de suite demandé pour la première fois « Tu as parlé de ma famille  ? lui qui soit disant n’était pas attaché à l’Italie souhaitait que je raconte son histoire.

Recueilli et transcrit pour Migrations BBFC par Douchka Anderson, mars 2021

Udine, Italie

Montbéliard, Doubs, France

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