Russes : Nikifor Tikonoff arrive en 1925

D’emblée, Michel Tikonoff, 72 ans, retraité, ancien responsable d’une agence d’architecture, se dit le fils d’un Russe Blanc émigré après la révolution de 1917.


Mon père Nikifor Tikonoff était militaire quand la révolution a éclaté. Il était de ceux qui avaient pris fait et cause pour l’ancien régime. Il a fait la guerre contre les Rouges. Défaite, l’armée du Général Wrangel (Général russe qui combattit les bolcheviks après la révolution d’Octobre) s’est repliée du côté de la mer noire et a évacué ses hommes en Bulgarie.
Mon père s’est donc retrouvé en Bulgarie, aux alentours des années 20, très démuni. Dans ce pays, il est devenu comme tous les hommes de troupe, mineur travaillant dans la mine. Né en 1897, il devait avoir à cette époque dans les 23/24 ans. Un tout jeune homme.

Il est arrivé en France en 1925. Peut-être est-il passé par Berlin, mais je n’en suis pas sûr. Il avait 28 ans.
Du 10 août 1925 au 23 mars 1929, il a travaillé à la papeterie de Novillars.
Il a épousé ma mère en 1935. Veuve d’un premier mariage, elle avait déjà deux petites filles. Elle était française, du Haut-Doubs. Ils ont eu quatre enfants, trois soeurs dont une morte en bas âge et moi.
Après la papeterie, il a travaillé au garage Thulim, ensuite chez Renault où il a terminé sa carrière.

Les premières années, mon père a gardé des contacts avec son père, sa mère, ses frères et soeurs et puis plus rien pendant longtemps.
En 1960 via le Croissant Rouge turc, il a été convoqué à l’Hôtel de Police, Place du marché à Goudimel. Là, il s’est entendu dire : « Votre famille vous recherche ! » C’était pendant la période où Khroutchev était venu en France. Mon père était farouchement anticommuniste. Ses frères voulaient qu’il vienne. Le courrier était lent entre la France et la Russie. Il a fait une attaque cardiaque.

Je ne lis pas le russe. Un jour, j’ai reçu un coup de fil d’un Français : « Je suis chargé par votre famille russe de vous retrouver ». Il m’a demandé mon adresse. L’un de mes petits cousins m’a alors écrit. Nous avons correspondu jusqu’ en 2001. Depuis, je n’ai plus de nouvelles.
Mon père était issu de la république des Mari’El, une toute petite république de l’ancienne URSS et dont la particularité est de pratiquer beaucoup la langue mari’el.
A Moscou – j’y suis allé trois fois – j’ai rencontré en 2004 mon cousin qui m’a offert un livre pour apprendre le mari’e.

Je n’ai rien d’un Slave. Je suis franc-comtois, moi! Je n’ai pas de penchant particulier pour la Russie pas plus que je n’en ai pour l’Allemagne.

Je suis allé là-bas pour des raisons purement touristiques. Il y a le barrage de la langue. Ils parlent peu l’anglais. Tout est inscrit en cyrillique, c’est assez difficile. Il y a la distance. J’ai du mal à cerner. A part Moscou et Saint-Petersbourg, les gens sont plutôt pauvres. Dans la campagne russe, c’est souvent les légumes du jardin. Moscou est une des villes les plus chères au monde.
Je suis membre de l’Association des Amis de Tver, ville jumelée avec Besançon. Nous accueillons des Russes, des nouveaux émigrés.
Les rencontres sont conviviales. Les fêtes de Noël, les bals, les brochettes russes… Je dis aux parents pour leurs enfants : « Faites l’effort de leur parler en russe ! »

Mon père parlait russe. Orthodoxe, il était responsable de la paroisse orthodoxe. Il est resté viscéralement anticommuniste. Jusqu’à mes vingt ans, j’ai vu le portrait du Tsar dans le salon. C’est lui qui coupait le pain. Il ne consommait ni pigeon ni cheval. Il faisait partie de la petite colonie russe et lisait le journal La pensée russe édité en France.
J’aurais voulu savoir son sentiment quand l’Allemagne a envahi la Russie. IL ne parlait pas beaucoup et travaillait d’arrache-pied. Il a eu une retraite heureuse. Il est mort à l’âge de 76 ans.
Il avait un copain russe comme lui qui tenait un petit garage. Quand je lui disais que les choses étaient en train de changer là-bas en Russie, il me répondait : « Quand je verrai un touriste russe à ma pompe d’essence, là les choses auront changé ! »

J’avais essayé de sensibiliser des nièces et neveux pour un voyage en Russie. Ils n’ont pas été intéressés.
Je me passionne pour l’Histoire en général et l’histoire russe en particulier, jusqu’en 1917.
Je ne finirai pas mes jours là-bas. Sachant que leur retraite est de 60 à 100 euros par mois en moyenne, cela fait un peu juste. J’ai été baptisé à l’église des Chaprais. Le cimetière est à côté. Je suis un Franc-Comtois pur-sang.

Propos recueillis par Soumya AMMAR KHODJA Besançon, février-mars 2009.

Mari El Republic, Russie

Doubs, Bourgogne-Franche-Comté, France

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