Battez-vous, que ce soit pour la santé ou pour la vie

Je suis née à Montagnana dans la région de Padoue en Italie en 1938. J’ai quitté Montagnana en 54. De 1954 à 1957 j’ai vécu avec mes parents à La Chaux de Fonds en Suisse. Mon papa avait quitté l’Italie en avril 1953 parce qu’il n’avait pas de travail.


Marisa Borin lors de sa confirmation

Il est allé au bureau d’embauche où les chômeurs allaient tous les matins et parfois les employés donnaient un ticket et indiquaient le pays demandeur de main-d’œuvre. Mon père a voyagé clandestinement parce qu’il n’avait pas d’argent pour payer son billet de train. Mon frère a suivi au mois de juin et ma mère au mois de septembre après avoir emmené ma petite sœur dans le Tyrol du sud, moi je suis restée à Montagnana hébergée par la dame où j’étais apprentie en tricotage machine. On avait peu de contacts les uns avec les autres.  J’ai été apprentie à l’âge de 12 ans après l’école qui était obligatoire jusqu’à l’âge de 11 ans. Entre 11 et 12 ans j’ai eu des problèmes de santé. Je voudrais préciser que nous avions seulement 4 h de cours par jour en primaire et que nous étions entre 45 et 50 élèves par classe. Alors le temps de faire l’appel et de dire la prière il  restait peu de temps pour faire quelques vagues exercices au tableau, et la matinée était finie.

Au mois d’avril 1954 nous nous sommes retrouvés à Vérone ma mère, qui a fait l’aller-retour dans la journée, ma sœur et moi et nous avons rejoint mon père et mon frère à La Chaux de Fonds. On a vécu dans une espèce de studio mais comme il n’y avait pas assez de place pour dormir on m’a placée dans une famille avec un enfant. Mais je n’ai pas beaucoup aimé parce que le monsieur ne me respectait pas. Alors je suis allée travailler dans une pension de famille où on faisait à manger pour 120 personnes à midi et 80 le soir. Je me souviens avoir épluché jusqu’à 20 kg de pommes de terre en 40 mn, je travaillais de 7 h du matin à 9 h du soir. A 18 ans je suis allée travailler en horlogerie, mais pour avoir un contrat de travail il me fallait justifier du jour de mon entrée en Suisse, j’ai donc dû repartir en Italie quelques jours pour avoir un billet de train prouvant ma date d’entrée sur le territoire suisse.
On a appris le français sur le tas en Suisse par gestes et/ou dans des situations embarrassantes, ça s’est fait au fur et à mesure quoi.

Marisa, ses parents et son frère

On est venu à Besançon en 1957 parce que mon père et mon frère étaient travailleurs saisonniers, ils ont passé 2 ou 3 hivers en Suisse dans la clandestinité parce qu’on n’avait pas assez d’argent pour qu’ils puissent retourner en Italie en hiver et revenir au printemps. Ils ont été expulsés 2 hivers de suite. Mon père a su qu’à Besançon il y avait du travail dans la maçonnerie, lui et mon frère sont venus en novembre 1956 ils ont commencé à travailler tout de suite. Ils étaient logés dans des chambrées de 7 à 8 personnes à Saint-Ferjeux. Nous, nous avons déménagé en mars 1957.
J’ai tout de suite commencé à travailler dans une usine de textile. A cette époque on trouvait du travail très facilement il fallait simplement avoir un passeport et une carte d’identité, avec le contrat de travail venait le permis de séjour d’un an renouvelable tous les ans. Dans cette usine j’ai compris ce qu’était l’esclavage. On travaillait de 7h à midi et de 14 h à 17h tous les jours et parfois le samedi matin aussi. Avec la chaleur et la poussière on avait toujours soif, un jour la fontaine où on buvait est tombée en panne on ne sait trop pourquoi. On avait 5 mn montre en main pour aller faire pipi c’était des WC turcs mais on n’avait pas le temps de tirer la chasse d’eau l’hygiène était épouvantable. Les humiliations étaient quotidiennes. Je n’y suis restée que 6 mois. Après je suis allée travailler dans 2 autres usines où c’était beaucoup plus humain. On apprenait aussi le travail sur le tas, on n’avait pas de formation continue à l’époque.

Dans une de ces usines j’ai rencontré mon mari qui était un italien du sud, je précise parce que nous n’avions ni le même dialecte, ni les mêmes coutumes dans les relations, la cuisine etc… Nous n’avons jamais parlé italien à nos enfants, mais ils le comprennent.
Après un an de mariage nous sommes repartis avec un peu d’argent, vivre en Italie, dans les Pouilles, où il y avait eu un tremblement de terre, il fallait reconstruire. Nous sommes revenus un an après, sans un sou. Malgré notre travail l’argent ne rentrait pas et nous sommes revenus sans rien. Il fallait tout recommencer. Le lendemain de notre retour mon mari a repris son travail avec mon père et nous avons tout reconstruit.
Nous avons divorcé plus de 30 ans après notre mariage.
Dans la famille on n’a pas pour habitude de retourner en vacances tous les ans en Italie ; deux des frères de mon père sont venus à Besançon voir comment on était installés car on est les seuls à s’être expatrié, on était donc considérés comme les ratés de la famille.
A Besançon on n’a jamais fréquenté la colonie italienne. On se retrouvait plutôt en famille : chez mon ex-mari il y avait beaucoup d’enfants donc on passait le dimanche chez les uns et les autres à tour de rôle. Voilà on a vécu plutôt comme ça.
Je suis naturalisée depuis les années 75. Je me sens française, en France j’ai acquis une liberté que l’Italie ne me donnait pas à ce moment-là. Je pense que l’Italie c’est comme une mère qui a mis ses enfants à la DDASS alors bien sûr elle est toujours un peu dans mon cœur.
Je n’ai jamais parlé de mon arrivée en Suisse à mes enfants, ça ne s’est jamais trouvé. Le message pour mes enfants c’est « battez-vous, que ce soit pour la santé ou pour la vie battez-vous ».

Un extrait en italien :

Mi chiamo Marisa sono nata a Montagnana sto parlando della mia storia in Francia a Besançon sono andata dopo tanti anni à Montagnana a settembre 2011 con mia figlia è stata lei a organizzare il viaggio ed è vero ho ritrovato alcuni sapori di prima.

Témoignage de Marisa BORIN, septembre 2012

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