J’ai quitté la Sardaigne en 1962 pour venir à Besançon avec mon mari. Nous sommes venus retrouver ma tante. Mon mari a trouvé du travail très vite chez Baronchelli où mon oncle travaillait déjà donc on n’a pas eu de problèmes au départ.
Les étrangers aujourd’hui achètent beaucoup de villas, là où je suis née en Sardaigne, à Villassimius, ça a toujours été la plus belle région de l’ile, c’était un petit village et aujourd’hui il est devenu grand et très cher.
Mon père était régisseur dans une propriété agricole et nous les enfants on n’a manqué de rien mais comme on était 5 filles et que le village était environné de montagnes mon père a décidé d’aller en ville et on s’est retrouvés près de Cagliari la capitale de la Sardaigne, et c’est là où j’ai fait mon école élémentaire. Mon père n’a jamais voulu qu’on travaille en Italie parce qu’il estimait que c’était à lui de nourrir ses enfants, les 2 aînées on a appris la couture bien entendu, mais les plus jeunes ont continué leurs études, une est devenue secrétaire.
Moi j’ai connu mon mari à l’âge de 17 ans et je me suis mariée à 19 ans. Mon mari avant notre mariage était déjà chef de famille parce que son père était gravement malade et qu’il y avait 9 enfants, donc il s’occupait de tout le monde, il était embauché dans une briqueterie, il avait du travail donc. Puis une de mes tantes qui habitait déjà Besançon, et qui était venue en vacances nous a suggéré de venir en France, où elle était toute seule avec son mari. C’est comme ça que mon mari est venu avant moi pour 3 mois juste pour voir, mais lui il voulait pas rester, seulement moi j’avais vraiment envie de sortir de la Sardaigne. Alors on s’est mariés et le lendemain de notre mariage on est venus.
Je suis arrivée en mars 62 et tout était couvert de neige, je voyais la neige pour la première fois, on voyait pas les maisons, j’ai trouvé ça très beau, je me suis vite intégrée. Je suis arrivée rue Berlioz, comme c’était difficile de trouver un appartement on a vécu 6 mois chez ma tante.
Mon oncle est arrivé dans les années 50 comme émigré à Mouthe, puis il est venu sur Besançon, mais il y a d’autres gens qui sont passés par les forêts sans se déclarer, je ne sais pas comment ils faisaient dans le temps mais…
Mon mari a trouvé du travail très vite chez Baronchelli où mon oncle travaillait déjà donc on n’a pas eu de problèmes au départ, ni après, ni même pour les papiers puisque M. Baronchelli s’est occupé de tout pour ses ouvriers. Donc on est venus avec un permis de séjour de touriste et avec le contrat de travail on a eu un permis de séjour normal. On n’a jamais été maltraités, les gens des fois voyaient que je ne parlais pas français mais ils m’ont toujours aidée, chez les commerçants par exemple. Mais il y avait déjà ma tante et deux italiennes au début qui m’ont aidée aussi, mais aussi beaucoup de françaises.
Puis M. Baronchelli nous a trouvé un appartement pour mon mari et moi toujours rue Berlioz. Au début dès que mon mari partait au travail je m’habillais et je partais chez ma tante qui ne travaillait pas non plus et qui s’occupait de ses enfants.
Avec ma tante et mes sœurs on est les seuls de notre famille à nous être expatriés.
Plus tard on a acheté un terrain en Sardaigne avec l’idée de faire construire une maison parce qu’on ne pensait pas rester en France, mais… finalement on y va tous les ans parce que c’est ma terre natale mais je ne pourrais pas aller y habiter, je ne peux pas…, d’abord je ne connais plus personne eux me reconnaissent mais moi pas et puis chez moi c’est ici maintenant malgré mon accent, j’ai vécu plus longtemps ici qu’en Italie. Bien sûr j’ai encore une sœur qui n’a pas voulu immigrer en France qui est venue voir mais qui n’a pas voulu rester.
Mon mari ne voulait pas que je travaille mais après quand mes enfants ont grandi j’ai trouvé régulièrement du travail, chez Maty, chez Malfroy, mais c’était toujours des courtes durées parce que mon mari ne voulait pas que je travaille et malgré mon insistance c’était toujours lui qui gagnait, puis après quand j’ai gardé des enfants ça n’a pas posé de problème parce que j’étais à la maison et quand il rentrait tout était prêt, tout était en ordre. Il était un peu jaloux et comme beaucoup d’italien son honneur c’était que sa femme ne travaille pas, c’était comme ça autrefois.
On est allé souvent à la Mission Catholique Italienne bien sûr, puis petit à petit je m’en suis éloignée parce que je voulais que mes enfants soient près des français, alors je les ai faits baptiser à Saint Pie X à Palente par exemple. Mais on sortait beaucoup avec mon mari ma tante mon oncle autrefois, on allait souvent à Ornans où on retrouvait d’autres italiens et on passait le dimanche après midi comme ça mais on allait aussi au lac de Saint Point, on allait partout avec ma tante. Mes enfants sont français tous les 4, mais mon mari disait qu’avec notre accent ce n’était pas la peine de demander la nationalité française et qu’on était plus aimés comme ça.
On a parlé italien à nos enfants, il y en a une qui n’acceptait pas trop qu’on parle italien quand elle était petite, mais maintenant elle tchate en italien sur Internet avec des italiens, il n’y a plus de problème.
J’ai connu des italiens qui sont retournés vivre en Italie, certains sont revenus parce que toutes leurs économies qu’ils avaient accumulées ici, ont fondu parce qu’ils ne trouvaient pas de travail là-bas, alors il revenaient et recommençaient tout, c’était très dur pour eux.
Moi maintenant je prends des cours de français à la MJC de Palente parce que j’ai le temps et que j’aime lire en français, je retiens des mots écrits et je voudrais quand même bien savoir écrire le français comme il faut.
Moi je dis au nouveaux immigrés travaillez, il faut travailler, mon mari a beaucoup travaillé et si j’en suis là aujourd’hui c’est grâce à son travail. Il ne faut pas toujours prendre, il faut aussi donner.
Témoignage de Tina FAEDDA, recueilli par Yolande Mouget et Gigliola Borin.
Villasimius, South Sardinia, Italie
Besançon, France