L’abbé Chays : un trait lumineux dans l’histoire sociale de Besançon

« Je pensais à bon droit et à juste titre que le droit à la vie passait avant le droit à la propriété et que le droit de propriété devait se mettre au service du droit à la vie »,


André Chays est né le 9 juillet 1922 à Vercel dans le Doubs. Dès l’âge de 12 ans, il exprime le désir de devenir prêtre. Le jeune abbé, ordonné à Besançon en 1946, pense au ministère actif des paroisses ouvrières, mais il est envoyé à Rome pour se spécialiser en droit canon.

Durant la deuxième guerre mondiale, en 1944, il s’engage dans la 9ème DIC (Division d’Infanterie Coloniale), au sein de la “1ère armée française” qui, sous le commandement du général de Lattre de Tassigny, compte 500 000 hommes, et parmi eux, 300 000 Africains et Maghrébins(1). Il découvre ces hommes, dont il partage l’amitié, témoin de leur courage. Il en est d’autant plus affecté lorsqu’il les voit tomber nombreux au combat pour la France, mais surtout à la Libération, lorsqu’il prend conscience de l’absence de reconnaissance à leur égard, en particulier lors d’une commémoration à Pont de Roide(2). Il en éprouve un fort sentiment d’injustice et une sorte de dette à leur égard.

En 1945, André Chays est scandalisé devant les massacres de Sétif(3), qui font suite aux commémorations du 8 mai, en Algérie.

A partir d’octobre 1950, il fait partie du corps professoral du grand séminaire, à la fois comme professeur de droit canon et de théologie et économe de l’établissement. Il y restera trente-deux ans, jusqu’à sa retraite. Mais pendant plus de trente-cinq ans, c’est dans un domaine bien différent que s’exerce son véritable charisme : celui de l’accueil et de l’aide au service des travailleurs algériens. Il s’indigne devant les conditions d’hébergement et le dénuement des travailleurs maghrébins qui commencent à arriver dans la région franc-comtoise. Au début des années cinquante, en effet, l’industrie est en plein essor. La période de croissance rapide de la capitale comtoise conduit les entrepreneurs, en particulier du bâtiment, à faire appel à de la main-d’oeuvre immigrée. Mais il semble que rien n’ait été vraiment prévu pour l’accueillir. Ces hommes, venus généralement seuls, ne trouvent pour tout abri que les casemates des anciennes fortifications du quartier de Battant, des wagons désaffectés à la gare de triage, ou même de vieux camions.


Refus de l’indifférence au sort des Nords-Africains
L’ Archevêque de Besançon parle à André Chays de la situation déplorable dans laquelle se trouvent les travailleurs algériens. Le jeune Abbé s’en émeut et se mobilise. Dès 1952, il se réunit avec d’autres personnes préoccupées par ces questions. Elles viennent de milieux divers : professionnels, politiques, syndicaux et religieux, avec un trio de choc : Jean Carbonare (le protestant engagé), Henri Huot, (le membre du Grand Orient de France) et l’abbé Chays (le catholique) ; puis bien d’autres comme Maurice Landau, ancien chef de bureau à la préfecture.

D’après leurs témoignages, une réelle amitié s’établit aussitôt entre eux : ils se réunissent régulièrement, pour voir comment sensibiliser le grand public et venir en aide à ces hommes. C’est grâce à leurs initiatives que des issues sont trouvées à certaines situations dramatiques et que s’amorce une politique d’accueil, puis d’hébergement, dans des logements plus décents que ceux de l’arrivée.

Ensemble, ils créent une association de fait, qui prend plus tard le nom d’“AATEM” (“Accueil aux Travailleurs Etrangers et Migrants de Besançon”) et dont le siège est au grand séminaire, 20 rue Mégevand. L’abbé Chays reste vice-président de cette association jusqu’à sa mort. Il en est l’une des chevilles ouvrières pendant trente-cinq ans. « Il était le recours dit Henri Huot, on venait le trouver pour un logement, un emploi, pour raccommoder un mariage. Il écoutait tout le monde. Il était toujours là pour tout arranger… ; chacun pourrait dire qu’il a été très vite conquis par la cordialité de son accueil, par sa philosophie bienveillante et pourquoi, à son contact, il s’est trouvé engagé, emporté dans son sillage et dans l’action qu’il a conduite ».

Un exemple nous en est fourni dans le Journal Le Comtois qui titre le 11 mai 1953 : “L’Aumônier des Nord-Africains poursuivi pour atteinte à la propriété”. Devant la crise sévère du logement et les 2 500 demandes en attente, l’abbé décide de prendre les grands moyens. Il installe dans un immeuble – vacant depuis neuf ans – une famille avec trois enfants, chassée d’hôtel en hôtel, dont le père Monsieur Fares est employé comme manoeuvre dans un garage et la mère se trouve enceinte. « Je pensais à bon droit et à juste titre que le droit à la vie passait avant le droit à la propriété et que le droit de propriété devait se mettre au service du droit à la vie », dit l’abbé Chays, qui attendait avec une apparente sérénité le développement des poursuites engagées contre lui.

Le 22 décembre 1953 à la salle Grammont, c’est un véritable appel qui précède de quelques semaines celui de l’abbé Pierre qu’il connaissait et dont il reçoit les encouragements. Il donne une conférence de presse sur le thème : “La grande misère des Nord-Africains chez nous”.

« Il y a 350 000 Nord-Africains en France. A Besançon, ils sont 350, en majorité Algériens. Ils viennent chez nous parce qu’ils sont libres ; citoyens français depuis 1947 (…) ils viennent parce que chez eux ils meurent de faim…(….). Bien sûr des personnes dévouées de toutes confessions soulagent cette misère, des repas leur sont servis. Ce n’est pas tellement de soulager leur infortune qu’il s’agit, mais de faire en sorte que parmi nous ils se sentent chez eux, qu’en France nous les considérions comme nos frères. En 1830 nous avons conquis leur pays, nous avons pris en charge leur destinée, nous les avons adoptés ; aujourd’hui ils sont plus que majeurs ; en 1914-1918 beaucoup sont morts pour défendre la France ; de 1940 à 1945 ils ont lutté à nos côtés, aujourd’hui, il y en a 70 000 qui combattent en Indochine… »

Cet article, dont nous évoquons des extraits, a été publié par Cité Fraternelle qui à l’époque était l’hebdomadaire catholique du diocèse de Besançon. Un autre compte-rendu a été inséré dans la République, quotidien appartenant à la famille De Moustier, qui est lu par les gens de droite. Le quotidien de gauche Le Comtois ne rendait pas compte des conférences Grammont organisées par les catholiques, même si des personnalités socialistes, comme Raymond Vauthier, premier adjoint, professeur de lettres au lycée Victor Hugo, participait souvent à ces rencontres et aux débats qui suivaient.


L’abbé à moto sillone la région

L’AATEM devient, comme l’écrira le Journal Reflets Comtois, une association solide, dynamique, compétente, reconnue au niveau régional et national pour son bon fonctionnement et son efficacité. Le Centre d’hébergement de l’avenue Clémenceau, la Cité de l’Escale, puis des immeubles importants comme les “Tours Amitié” à Saint-Ferjeux, sont construits pour le logement des immigrés et les membres de leurs familles venus les rejoindre. Ce sont 2 000 personnes qui sont bientôt concernées. Nombreuses sont les familles, toujours présentes à Besançon, qui se souviennent aujourd’hui et ont plaisir à reparler de celui qu’elles appelaient “l’abbé” : membres des familles notamment Djoghlal, Fares, Hakkar, Khaoua, Melili….

“L’abbé à moto”, comme on l’appelle alors, rend une multitude de services personnels. Il bondit sur son engin de compétition, sillonne la ville ou la région et déploie l’énergie immense qui est la sienne pour trouver sur le champ la solution aux nombreux problèmes rencontrés par ces hommes et leurs familles. « Il aidait beaucoup les gens, dit Mohamed Khaoua arrivé en 1952, à l’âge de 17 ans. Quand on avait besoin de quelque chose, pas de boulot, on allait directement au Séminaire, pour des vêtements, des chaussures, des papiers et même de l’argent et à la Croix-Rouge pour manger. C’était un brave homme, le religieux, le vrai, le chrétien catholique ».

« On était dans les baraques en bois, en plein hiver ; l’abbé arrivait avec du charbon, des couvertures. Il aurait été habillé en Père Noël, on l’aurait cru ! » disait Miloud.

« Mon père est arrivé en 1954, nous en décembre 55, se souvient Djemaâ Djoghlal qui avait six ans à l’époque. La première nuit, dans les casemates de Battant où on est resté une semaine, après « la rue du Petit Charmont » dans un immeuble insalubre qui menaçait d’écrouler. L’abbé Chays nous a pris en main et comme mon père travaillait sur un chantier près de Pontarlier, il nous a envoyés à Doubs, dans la cure chez l’abbé Roncon qui était du même style que l’abbé : un curé de choc…. C’était comme dans la publicité : “L’abbé Chays ? un moment de douceur dans un monde de brutes” ».

Il ne cesse d’intervenir personnellement auprès des institutions (Mairie, Préfecture, Sécurité sociale, Justice…) et des employeurs pour user de son charisme et de sa notoriété au bénéfice de familles, de travailleurs démunis ou privés de leurs droits.

« C’est qu’il n’était pas frileux l’abbé, lira t-on plus tard dans un article intitulé “L’ami des Maghrébins” dans un journal Reflets Comtois : « Sentimental certes, mais quel tonus ! La grosse moto de sa jeunesse, ça en disait long sur sa volonté et sa fermeté… Il était bon, tendre même avec tous, mais il savait conseiller fermement tel jeune qui faisait des frasques ».

« C’était quelqu’un d’exceptionnel qui a fait des choses que personne d’autre n’a fait, dira une de ses nièces qui appréciera son écoute et son aide. C’était sa fermeté qui était impressionnante. Il n’était pas dans la frime, il était authentique. Quand il avait quelque chose à dire, il le disait ! Aujourd’hui, on ne rencontre plus de gens comme cela. Quand vous croyez, vous êtes vrai ; vous communiquez une force énorme. Je comprends qu’on l’ait appelé “le Marabout” ».

L’abbé est en effet surnommé quelquefois : “Le grand Marabout”, tant à Besançon que dans le douar de Boudherm (Willaya de Khenchela dans le Sud Constantinois), douar dont la famille Hakkar est originaire. La confiance qu’on met en lui est forte du côté des travailleurs algériens. Elle lui est également manifestée par sa hiérarchie pour développer un dialogue islamo chrétien : participation à des prières communes, accompagnement religieux d’un mariage mixte, plus tard rédaction d’un document précisant la position de l’Eglise catholique sur les mariages mixtes. L’abbé parvient à connaître presque individuellement les membres des divers foyers, car il les accompagne et réconforte aussi, dans les moments de joie ou de peine qu’ils connaissent. Ceux-ci le lui rendent bien, tel ce père de famille qui, en 1953, se rendra à pied à Vercel (36 km !) pour participer aux obsèques du jeune frère de l’abbé.

« C’était un homme de coeur, dit Fatima Melili, 47 ans aujourd’hui, on se sentait compris, il vous apaisait. C’est rare quelqu’un comme lui avec deux cultures… qui parle quelques mots d’arabe et qui vous comprend et a les mots justes ».

« Cet abbé Chays, ajoute Djemaâ, ainsi que l’abbé Roncon et les soeurs de Notre Dame – Claire, Elisabeth et Marie Angèle – m’ont donné une autre image du religieux (différente de ce que je vois aujourd’hui et de ce que j’apprends par rapport aux croisades et aux injustices passées). Il n’est pas intervenu simplement en “acteur social”, il a pris fait et cause pour ses frères en religion. Il disait d’ailleurs “mes Frères”, et ce n’était pas du prosélytisme, ni du paternalisme… pour lui, mon père et ma mère c’étaient “les gens du Livre” : il les acceptait avec leur lumière et lui avec la sienne… Il voyait en nous non pas des forces de travail mais des hommes et des femmes à part entière »

Frères immigrés

texte écrit par l’Abbé Chays en l’honneur de ses « Frères immigrés »

« Alors qu’il s’agit tout simplement de reconnaître votre dignité d’hommes, de travailleurs, de chefs de famille… dans le respect de tous vos devoirs et de tous vos droits… je me permets de prendre la parole. J’ai trop reçu de vous pour me taire aujourd’hui.

Quand j’avais 20 ans, je partageais votre vie de combat dans les campagnes de France, d’Alsace, d’Allemagne. Je vous ai vu tomber par milliers, à la « 3ème DIA, à la 4ème DMM, à la 1ère DFL, – tirailleurs, spahis, zouaves, goumiers… – à Pont de Roide, Ecot, au Col de Bussang, à Courte Levant, Lutterbach, Cernay, Colmar, jusqu’en  Autriche. Partout des vôtres sont tombés pour que nous restions debout.Cimetière de St-Claude, Rougemont et tant d’autres, vous en pouvez témoigner !

Et puis, pendant 30 ans, j’ai connu votre misère, votre souffrance, votre isolement de travailleurs immigrés…, au travail, sur nos chantiers de reconstructions et au repos dans les casemates de Battant, et dans les cités de Transit. Et je vous ai accompagnés si souvent dans nos cimetières…, pour prier à vos côtés… et déposer en terre vos frères, vos pères… tombés sur les chantiers de Palente, Montrapon, Planoise ou d’ailleurs.

Aujourd’hui, c’est moi qui suis malade et c’est vous qui me soutenez de votre affection, de votre amitié et de votre prière !
Alors je me dois de dire : vous avez tellement fait pour nous ! Nous avons le devoir aujourd’hui de vous respecter, de vous écouter et de tout faire pour vous aider à sortir d’une nouvelle tragédie, la plus dure : celle du mépris, de la haine, du refus !
Nous avons le devoir aujourd’hui de crier… « Après avoir supporté ensemble tant de misère, il est possible encore de construire avec vous un monde meilleur… dans la justice et dans l’amitié ».
Votre frère André Chays


Engagement contre la guerre et la torture en Algérie

Il semble que toutes ces actions menées par l’abbé, lui sont dictées plus par amitié, générosité naturelle et par solidarité, sens de la justice humaine que par une conscience politique véritablement élaborée. Pour son neveu déjà cité, « le fondement de son intervention est (donc) conjointement humanitaire et religieux. Mais les circonstances de la guerre d’indépendance, l’amènent à intervenir aussi sur le terrain politique, tout en se déprenant de quelque allégeance que ce soit : dénonciation de la torture dans les sermons dominicaux qu’il prononce dans les paroisses du diocèse où il est invité ; harangue en gare Viotte des appelés en partance pour l’Algérie, et ce, en présence d’officiers stupéfaits ; aide apportée à des militants du FLN pour passer incognito la frontière et rejoindre en Suisse des dirigeants de l’organisation ; invitation à une, voire plusieurs réunions du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) à Genève, concours, semble-t-il aussi, à l’organisation de la rencontre “des Rousses”, préliminaire aux négociations d’Evian. Ce rôle politique ne va pas naturellement sans contestation ni débat quant au principe, ou aux modalités, selon les cas : surveillance étroite par les Renseignements Généraux ; frictions avec certains officiers de police ; incompréhension parfois de son entourage ; différences de points de vue avec les organisations… ».

La Tour Carrée, l’un des premiers aménagements réalisés entre 1950 et 1952 par J. Carbonare et l’abbé chays

Jean Ponçot, étudiant en histoire à Besançon et, dans ces années de lutte contre la guerre d’Algérie, Président de l’Association Générale des Etudiants de Besançon (AGEB) affiliée à l’UNEF (Union Nationale des Etudiants de France), se souvient du jour où l’abbé fut arrêté après s’être couché sur les voies entre Valdahon et Besançon pour empêcher un convoi de partir pour l’Algérie. L’abbé n’avait pas “d’engagement politique”, mais il savait bien que ses actions avaient des répercussions. Il a soutenu de toutes ses forces des gens qui s’étaient impliqués, et ce parce qu’ils étaient menacés, au nom de la justice, de l’égalité et de l’amour les uns pour les autres. Jean Ponçot se souvient des actions de coordination menées avec l’abbé quand il était question de jeunes ouvriers et de jeunes étudiants placés en prison pour leurs idées politiques : exemple le 26 avril 1959, où l’abbé venu le chercher à moto, le conduisit à toute vitesse à la Citadelle pour rendre visite à ceux qui venaient d’y être internés et trouver une issue favorable.

Après l’indépendance, il est tenté d’aller se mettre à la disposition de Mgr Duval à Alger, mais il en est dissuadé par un ancien du séminaire de Consolation, le Père Lombardet, qui connaît bien l’Afrique et les questions de développement. En 1972, il décline l’invitation personnelle du Président Boumediene aux fêtes de l’Indépendance et par là même l’offre de remise de la médaille de l’indépendance algérienne. Sans doute par refus des honneurs mais aussi, peut-être déjà, par un début de perplexité face à l’évolution du régime algérien.

Les années passent, pendant lesquelles l’abbé poursuit son action auprès des familles maghrébines et d’autres avec toujours autant de passion et d’attention à tous. Khemissi Hakkar, qui a connu l’abbé dès l’âge de 12 ans, se souvient très bien : « Il est venu à mon mariage en 73, c’était un peu un parent… il a dansé au milieu des femmes… il était adoré. Il était Quelqu’un, quand on le voyait on était heureux. A qui n’a-t-il pas rendu service ? ». Mais il commence à donner des signes de fatigue. Il apprend en novembre 1983 qu’il est atteint d’un cancer des os qui l’oblige à réduire son activité et le fera beaucoup souffrir jusqu’au bout.

L’abbé revient sur ces années dans un texte, écrit en juin 1985 et intitulé “Les Algériens immigrés de Besançon à la recherche de leurs traditions”. « (…) Ce fut aussi un véritable jumelage (eh oui il y pensait déjà), dans le concret du quotidien, entre Besançon et Khenchela des Aurès… aujourd’hui, ils sont plus de 2 000 partis de Khenchela et des environs, qui ne savent plus s’ils sont de Besançon ou des Aurès…. qui ne savent rien de leur beau pays, du passé, de l’histoire de leurs familles…, alors que les anciens sont encore là, parmi eux, qui ne demandent qu’à causer, pour peu qu’on les y invite. Radio Sud, radio privée des émigrés sur Besançon, d’autres bonnes volontés aussi sont dans le coup, et déjà collaborent….( ..) un jour nous voudrions que tout cela soit consigné sur papier. Cela ferait un si beau livre ». C’est vrai, et ce livre – vingt ans plus tard – nombreuses sont les familles maghrébines et d’ailleurs qui pourraient encore y participer.


« La Marabout termine sa mission »

L’abbé continue de recevoir au bureau de la rue Mégevand. Louis Martin l’entend encore lui confier combien la chimiothérapie le met en difficulté : il n’arrive plus à écouter les gens, à réfléchir et être disponible mais il se reprend et dit « nous on a de la chance, imagine les maçons… Il faut lutter, on doit pouvoir gagner ! »

Puis, à l’automne 1987 à l’hôpital Minjoz, la « chambre 3.112 » est devenue comme un « lieu de pèlerinage de l’amitié », diront ses nombreux visiteurs de toutes origines. « Il avait un charisme formidable, rappelle Henri Huot, et même à l’hôpital, ils venaient encore le voir. Et j’ai vécu cette scène poignante : dans sa chambre des Maghrébins qui priaient Allah au pied de l’abbé…. ». Jean Ponçot entend encore André Chays, deux ou trois semaines avant sa mort, lui redire que la seule solution à propos des enfants de la deuxième génération, c’est l’intégration.

L’abbé sait que sa fin est proche. Il veut que son enterrement soit simple et fraternel pour tous ceux qui viendront. « Si l’on faisait office à la Madeleine, ce serait la paroisse des Glacis et des premières rencontres avec les Algériens, dit l’abbé. Beaucoup de musulmans et de migrants demeurent dans le quartier… J’aimerais qu’on chante le refrain latin du “Magnificat”, la mélodie solennelle et joyeuse…. J’ai été un prêtre heureux…. Oui je suis heureux, je suis en paix ». « Quand il était mourant, nous sommes venus lui rendre visite à l’hôpital avec mon frère Mohamed dit Khemissi. « L’évêque de Besançon était là et nous a ouvert la porte : « Qui dois je annoncer ? » « Les enfants de Salah Ben Mohamed ». « Je suis sur la fin, dit l’abbé, on va prier un coup » – et la prière on l’a faite en arabe – et il m’a dit : « je vous ai réservé une place à l’église de la Madeleine, une rangée pour la famille Hakkar ; il nous aimait ».

L’abbé meurt peu après, le dimanche 22 novembre 1987. « Les manifestations de sympathie sont à la mesure de l’oeuvre accomplie par l’Abbé Chays », écrira peu après Joseph Pinard.
Un télégramme du Consulat d’Algérie est adressé le 23 novembre à l’AATEM : « Nous avons appris avec beaucoup de peine la disparition de l’abbé Chays – homme adulé par tous, les Algériens en particulier.(..) En ces temps de crise l’abbé Chays restera pour nous à jamais, un symbole, une référence d’un homme qui, au-delà des clivages de toutes sortes, a été inlassablement et durant toute sa vie, au service d’autrui, avec une bonté et une générosité sans faille. Que Dieu ait son âme ».

« Disparition de l’abbé Chays : le “grand marabout” a terminé sa mission » lit-on ce même jour dans L’Est Républicain. Puis le lendemain, à la fin de l’avis de décès émanant de l’évêché et de la famille, ces mots : « La famille Hakkar Salah Ben Mohamed a la douleur de vous faire part du décès de Monsieur l’Abbé André Chays qui l’a accueillie et soutenue fraternellement pendant de si nombreuses années ». Le surlendemain, un autre avis de décès est publié : « Les Amis musulmans de Besançon ont la tristesse profonde de vous annoncer qu’ils viennent de perdre, dans le départ vers la maison du Seigneur, leur ami très cher André Chays. Le plus grand nombre possible d’amis musulmans l’accompagneront dans la prière ce mercredi vingt-cinq novembre 1987 à dix heures, en l’église de la Madeleine. Il nous a si souvent accompagnés lui-même de son amitié et de sa peine à l’occasion de chacun de nos deuils de famille. Nous remercions la communauté chrétienne de nous l’avoir confié pendant plus de trente cinq ans de sa vie à notre service ».

La messe d’enterrement est célébrée le 25 novembre à la Madeleine, dans une église pleine(1), dont les musulmans constituent une notable partie de l’assistance dedans et à l’extérieur. Une dernière cérémonie a lieu l’après-midi à Vercel, chef-lieu du canton du plateau du Doubs, où il est inhumé. Un groupe de musulmans en djellaba blanche s’avance à la fin et reste devant la tombe. « Là on a prié comme on priait avec lui, avant sa mort, on a récité le Coran. Et les chrétiens pleuraient en nous écoutant » disent les témoins cités par le journal Reflet Comtois.

Henri Huot, au nom du Sénateur-Maire Robert Schwint et de la Municipalité, avait dit le matin même en évoquant l’abbé : « Il aura ainsi marqué d’un trait lumineux l’histoire sociale de notre ville pendant une génération(3). L’amitié fervente, voire la vénération que lui témoignent les communautés d’immigrés, et particulièrement la communauté musulmane, montrent à quel point il a été pour elles, le recours permanent, le symbole, la figure de proue de l’accueil de Besançon aux travailleurs migrants. Puisse son exemple, dans notre société en crise, inspirer la génération qui monte, pour qu’elle oeuvre à son tour inlassablement, à l’avènement, sans cesse reporté hélas, d’une cité plus solidaire et plus fraternelle ».

Un an avant sa mort, André Chays avait écrit : « Les textes et les projets de loi ne remplaceront jamais la poignée de main fraternelle des voisins de palier, le brin de causette des mamans aux arrêts d’autobus, aux sorties des écoles…, ou les soucis échangés, entre mêmes malades, de couleurs différentes, dans les chambres d’hôpitaux…. Ce n’est pas toujours facile. Je le sais. Mais c’est bien là, dans l’humain le plus quotidien, le plus vrai que se construisent la Paix, la Joie de vivre ensemble… ».

Extrait de la contribution de M. F. Carrenzo 
in  « les Nord-Africains à Besançon », éd Ville de Besançon juin 2007

Besançon, France

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