On a survécu comme on pouvait

Je suis né en 1932 en Toscane à Massa Centro, une ville située à 7 km des fameuses carrières de marbre de Carrara près de Pise.


Mon père avait été marié une première fois mais sa femme était morte en lui laissant 6 enfants à charge. Quand il a épousé ma mère en seconde noce, un des 6 enfants venait de mourir. Ma mère qui n’avait que 19 ans, s’est retrouvée à la tête d’une famille de 5 enfants. Les années suivantes, elle a accouchée de 16 enfants mais seulement 8 d’entre eux ont survécu.
En 1939, mon père était chef de chantier dans les carrières de marbre de Carrara. Il travaillait énormément pour pouvoir nourrir sa famille et il refusait de faire de la politique et d’adhérer au parti fasciste. Considéré comme anti fasciste, 8 partisans du Duce l’ont agressé et battu à coup de nerfs de boeuf. Il a survécu 15 jours à l’hôpital puis il est mort des suites de ses blessures. J’avais 7 ans et la guerre venait d’éclater.

Ma mère

On est restés seuls, ma mère, moi et mes 12 frères et soeurs. J’étais le cinquième enfant de cette grande fratrie. J’avais deux frères et deux sœurs plus âgés que moi. Les autres enfants avaient tous moins de 7 ans. Ma plus jeune soeur est née juste après la mort de mon père.

Francesco – Courses de vélo en Italie

On a survécu comme on pouvait. Notre famille manquait de tout, et surtout de nourriture. Je me souviens que ma belle soeur qui venait d’avoir un bébé tirait son lait pour le distribuer aux autres enfants de la famille. Je me souviens aussi qu’on allait arracher de l’herbe qu’on vendait pour trois fois rien comme litière pour les vaches et les chevaux. C’était un travail pénible qui nous lacerait les mains et ne nous faisait gagner que quelques sous. Heureusement que nous avions des moutons, des lapins et des poules pour améliorer le quotidien. Pour survivre, ma mère a fait 56 voyages à travers les Alpes, dans la neige, pour échanger le sel de Carrare contre de la farine de châtaigne. Un kg de sel pour sept kg de farine. Malgré cela, on ne mangeait qu’une seule fois par jour pour que les réserves ne s’épuisent pas trop rapidement.

Malgré la misère, je suis allé à l’école jusqu’à 18 ans à l’académie des tailleurs de pierre. A la mort de mes frères ainés, je suis devenu le chef de famille. Cette situation m’a dispensé d’effectuer le service militaire.

En Italie, je travaillais à mon compte pour tenter de mieux gagner ma vie. Il y avait peu de travail et nombreux sont ceux qui partaient pour travailler en France ou en Belgique.
J’ai décidé de quitter l’Italie pour la France car mon frère et ma belle soeur, un neveu et deux amis travaillaient déjà en France. Ce sont eux qui ont organisé mon départ. Une promesse d’embauche signée par leur patron m’a permis de quitter l’Italie. Je suis parti en 1956. J’avais 24 ans.

Chantier de la maison familiale à Baume les Dames

Je me suis installé chez mon frère à Orsans. D’entreprise en entreprise, j’ai quitté Orsans pour Landresse puis je me suis installé définitivement à Baume les Dames. J’ai débuté avec un petit salaire puis puis j’ai changé d’entreprise pour gagner plus d’argent : Parola, Lécuyer, Tissot, Lhéritier, Barbier, Chagrot. En 1960, je gagnais 2,50 francs de l’heure et j’étais l’employé le mieux payé de l’entreprise. En 1965 à Besançon, j’ai participé à la construction des bâtiments de l’université à la Bouloie route de Gray.
Mon frère et moi, nous sommes les seuls de notre famille à avoir émigré en France. Avant la France, mon frère avait vécu 3 ans en Argentine, puis en Belgique avant de s’installer définitivement à Baume les Dames.

En arrivant en France, je ne parlais pas un mot de français. C’est mon patron qui s’est occupé de mes papiers. En 1959 j’ai épousé Sanna Giovana, une italienne née à Casablanca au Maroc, elle a habité Carrara également. Mais on s’est connus ici à Baume les Dames où elle avait, avec toute sa famille, suivi son père et ses frères venus participer à la construction du pont blanc. Elle avait 26 ans et moi 27.
Nos trois enfants, deux filles et un garçons, sont nés à Besançon avec la nationalité italienne. Ils ont reçu une éducation mi italienne mi française. Ils ont été naturalisés en 1975. Cela fait donc 37 ans que notre famille est française.

Famille

En France, je n’ai jamais eu de problème d’intégration. Les gens étaient gentils avec nous et je ne me rappelle pas avoir eu des problèmes de racisme. Tout le monde m’appelait monsieur François Fornari. Même si avant d’être naturalisé je m’appelais Francesco Fornari.

Nous allions en vacances en Italie chaque année pour revoir la famille mais je n’ai jamais souhaité repartir vivre en Italie. J’ai construit ma maison en 1963. En 2013, cela fera 50 ans que j’y vis. Aujourd’hui, je me sens vraiment français. Quant à mes enfants, ils sont français mais leurs origines sont très présentes.

Si je ne me souviens pas avoir entendu de propos racistes à mon égard, mes enfants se rappellent que parfois à l’école, les enfants les traitaient de « macaronis » ou de « ritals ». Ils se souviennent très bien qu’en France, ils étaient « les italiens » et en Italie « les français » mais ils n’ont aucun ressentiment par rapport à ça. Mon fils, Pierre, explique qu’aujourd’hui encore, au travail, il est « l’italien ». Les gens le lui disent sans méchanceté et il ne le prend pas mal car il est attaché à ses origines.

M et Mme Fornari

Témoignage de Francesco Fornari recueilli par Charlotte Parini, Tanja Nikolova et Gigliola Borin, septembre 2012

Massa Centro, Massa, Massa-Carrara, Italie

Orsans, France

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