Monsieur B.B. Habite à Planoise,
Je suis né dans un village de 3000 habitants dans le Nord du Maroc. Je ne connais pas la date exacte de ma naissance. A l’armée, le médecin m’a regardé et a dit que ma date de naissance sera le premier janvier 1930, mais je pense être plus jeune.
Mes parents étaient agriculteurs. Ils élevaient des moutons, des chèvres, des vaches et des ânes.
J’ai 7 frères et une sœur. Je suis le cinquième, Je n’ai plus qu’un frère vivant.
Je suis allé un peu à l’école arabe du village. J’aidais mes parents à la ferme.
A 22 ans, je me suis engagé dans l’armée française, le 9 septembre 1952 à Kenifra. Elle recrutait pour la guerre d’Indochine. Je suis seul de la famille à m’être engagé. (Mais j’ai un fils qui est dentiste militaire) Mon père n’était pas d’accord. Il voulait que je reste au village.
Le camion nous a emmenés à Meknes. On a passé la visite médicale. Puis on est partis en camion à Rachidia. On a fait la sélection pour l’Indochine durant 6 mois. Puis j’ai eu 25 jours de permission, je suis rentré chez moi.
A la fin de ma permission, je suis reparti à Meknes.
On est passés par l’Algérie pour récupérer deux bataillons. Puis on a pris le bateau pour l’Indochine depuis Oran. 28 jours dans la mer. Tout le monde avait le mal de mer.
A Saïgon, on a retrouvé les officiers. Je suis resté 2 ans dans le bataillon des tirailleurs marocains. J’ai eu la dysenterie, mais on m’a donné des médicaments. J’ai été blessé au pied par balle. En 1954, après Dien Bien Phu (je me préparais à y aller , mais ce fut la fin de la guerre), je suis rentré au Maroc.
J’ai la médaille militaire, la médaille coloniale, la croix de guerre à cause de ma blessure.
Je pense beaucoup à ce que j’ai fait en Indochine, surtout quand je vois des films.
Je suis rentré au Maroc. Je suis descendu à Casablanca, j’ai eu 3 mois de permission à Kenifra puis à Meknes, puis 6 mois à Casablanca.
Puis on m’a dit : «vous, vous allez en France» en septembre 1955.
Je suis allé à Auxerre, puis à Besançon à la caserne Vauban
On faisait des manœuvres un peu partout. Je suis resté un an en Allemagne.
Je me suis engagé pour 4 ans. Après encore 4 ans à Besançon. Et encore 4 ans.
Je vais aux repas des anciens combattants.
J’ai quitté l’armée le 20 septembre 1967.
Je voulais rentrer au Maroc après 15 ans dans l’armée.
Mais ma femme ne voulait pas rentrer.
J’ai trouvé une embauche chez Croppet au Rosemont. De 1967 jusqu’en 1985, jusqu’à la fermeture. Il y avait les palettes, la poitrine, les jambons fumés.
J’ai fait plusieurs postes. J’ai fumé dans le four, fait le désossage, on coupait le jambon.
En 1985, le Rosemont a déposé le bilan, j’ai été licencié.
J’avais 55 ans. J’ai été mis en préretraite.
J’ai eu 2 accidents de travail : en 1977, je nettoyais le four après avoir fait cuire le jambon. J’ai glissé à cause du produit qu’on mettait dans le four pour le nettoyer. Je suis tombé sur mon épaule.
En 1978, je suis descendu à la cave pour remonter le jambon. L’ascenseur s’est arrêté entre 2 étages. Le mécanicien a ouvert la porte. Je suis monté sur un chariot. J’ai glissé et je suis tombé sur l’autre épaule.
Avant en 1960, quand j’étais dans l’armée, je passais une épreuve pour être officier : la corde lisse. J’ai glissé et je me suis tassé des vertèbres.
J’ai été marié au Maroc une première fois. J’ai divorcé, ça n’allait pas avec cette femme. J’ai eu un fils que j’ai retrouvé il y a 13 ans. Il est dentiste militaire et maintenant colonel. Sa mère ne voulait pas qu’il me connaisse. Elle s’est remariée. Je l’ai recherché par des relations. Il m’a dit :«qu’est-ce que vous avez fait pendant tout ce temps ?»
Je me suis remarié en 1963. Ma femme est venue en France le 12 mars 1963. Nous étions logés dans la caserne Lecourbe.
J’ai 3 filles et 3 fils. Ils sont tous français. Mon fils aîné a eu une méningite à 3 ans et est très handicapé. Il a 45 ans. On s’occupe de lui à la maison. Il ne quitte pas ma femme.
Nous retournons au Maroc tous les étés, en voiture par l’Espagne. Nous y restons un mois ou deux. Nous n’avons plus de maison là-bas, nous allons chez la sœur de ma femme qui a une grande maison.
Nous ne voulons pas retourner habiter au Maroc. Nous sommes en France depuis 1955, cela fait 55 ans. Nous avons la nationalité française. Nous n’avons plus de famille là-bas (seulement ma belle-sœur).
Quand nous sommes arrivés à Besançon avec 3 bataillons de tirailleurs marocains, les gens ont eu peur de nous. Il n’y avait pas beaucoup d’arabes à Besançon.
Le maire Jean Minjoz a été invité à une fête à la caserne, après, ça allait mieux. On défilait pour le 14 juillet à Chamars.
J’ai appris le français à l’armée. Je lis l’arabe, mais pas bien le français,
J’ai mon frère à Serre les Sapins. Je l’ai fait venir pour travailler chez Cropet.
J’ai des amis marocains et français.
Je suis musulman. Je suis allé 2 fois à la Mecque.
Quand je serai mort, j’ai une assurance par la banque populaire du Maroc pour être enterré dans mon village. Ma femme veut être enterrée où elle meurt.
C’est Dieu qui commande.
Je suis content de ma vie.
Texte recueilli par Françoise Gayet, janvier 2011.
Maroc
Besançon, France